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Avignon : Emanuel Gat et Rebecca Saunders au sujet de « Story Water »

Nous avons rencontré le chorégraphe et la compositrice pour parler de la relation entre danse et musique dans Story Water. Où Gat est également compositeur...

Du 19 au 23 juillet, Emanuel Gat crée au Festival d’Avignon Story Water, une pièce en trois parties, sur des musiques de Pierre Boulez, Rebecca Saunders et ... Emanuel Gat! Nous avons rencontré le chorégraphe et la compositrice Rebecca Saunders à Francfort, à l’occasion d’une répétition avec Ensemble Modern, le fameux orchestre contemporain, connu en France depuis ses créations de théâtre musical avec le compositeur Heiner Goebbels. Story Water est la première création de Gat avec un orchestre jouant live. Comme dans Sunny [lire notre critique], un soliste musical est présent sur le plateau et interagit avec les danseurs.

Danser Canal Historique : Emanuel Gat, vous articulez Story Water en trois parties, sur trois musiques qui se distinguent nettement. Dérive 2 de Pierre Boulez est une vraie tempête. Fury II de Rebecca Saunders canalise les énergies de manière beaucoup plus ramassée et finalement, vous avez composé vous-même une troisième partie, basée sur les musiques traditionnelles du monde. Comment en faites-vous une pièce chorégraphique qui préserve une cohésion ?

Emanuel Gat : Entre les trois, nous créons une dramaturgie des énergies. Les trois parties sont comme trois chapitres d’une même chose, comme trois mouvements d’une symphonie. Le rapport au temps y est très important. Mais nous renonçons à construire des passerelles conceptuelles. La partition de Boulez est comme un kaléidoscope. Il s’agit en fait d’un seul thème, varié à l’infini. Boulez avait dit que s’il espérait voir un jour une de ses pièces servir à une création chorégraphique, ce serait Dérive 2. Et pourtant, elle n’avait jamais été chorégraphiée. Dans la pièce de Rebecca Saunders, ce sont les moments de silence qui créent le rythme et créent beaucoup d’interaction entre les danseurs et les musiciens. Au début nous avons répété avec une version enregistrée de la musique. La troisième partie est une accumulation et une superposition de musiques traditionnelles. Il y a la Tarantella italienne, le Schuhplattler bavarois, des danses hongroises, irlandaises, taïwanaises et autres. Tout en même  temps ! J’ai écrit cette partie en collaboration avec les musiciens. C’est comme une libération, si bien que pour cette partie finale, nous n’aurions même plus besoin du chef d’orchestre !

DCH : Un passage de la musique contemporaine occidentale au patrimoine musical mondial demande sans doute au moins un traitement dans un esprit artistique contemporain?

Emanuel Gat  : Nous avons structuré la pièce de telle manière que les multiples sources se superposent et créent un jeu des références très  intense et très dynamique. On peut  identifier ces patrimoines mais ils se superposent de telle manière qu’ils sortent complètement de leurs contextes originels et s’assemblent avec des musiques venant de zones géographiques et de périodes historiques, de cultures et de couleurs complétement différentes. S’y ajoutent les danses, ce qui fait qu’on peut aussi les identifier visuellement. Tout cela vibre ensemble, dans la musique autant que dans la danse. J’avais demandé à chaque interprète de choisir une culture traditionnelle pour sa musique et sa danse.

DCH : Story Water est votre deuxième création avec musique jouée en live et sur le plateau. Dans Sunny, Awir Leon était sur scène en tant que soliste. Ici c’est la première fois que vous travaillez avec un orchestre. Comment avez-vous défini la relation entre la musique et la danse ?

Emanuel Gat : Nous travaillons d’une manière assez intuitive. Nous n’essayons pas d’illustrer la musique. Les danseurs ont beaucoup de libertés, autant individuellement que collectivement. Le dernier quart d’heure sur Dérive 2 de Boulez est en fait la seule partie de Story Water à être totalement chorégraphiée. Pour toutes les autres parties, je donne du matériau chorégraphique aux danseurs, et ils le combinent librement à l’aide d’outils compositionnels. Chaque représentation est donc unique. Dans la première partie sur Boulez, nous mettons en scène notre recherche de ce matériau. On les voit se parler et créer le matériau. Ensuite ils l’utilisent pour créer la chorégraphie. Car le sujet de Story Water n’est pas tant le matériau que la manière dont il est assemblé.

DCH : Story Water met en avant le groupe et même une communauté tribale. D’où vient le matériau chorégraphique ?

Emanuel Gat : Comme point de départ, j’ai demandé aux danseurs de se remémorer en détail toutes leurs actions de la veille, du réveil jusqu’au coucher. C’est pourquoi cette partie commence et se termine au sol. Mais au lieu d’interpréter leurs actions, je leur ai demandé de travailler sur ce qu’ils avaient éprouvé et ressenti à chacun de ces moments.

DCH : Mrs Saunders, on vous connaît bien plus en Allemagne qu’en France. Pourriez-vous nous donner une brève carte de visite artistique?

Rebecca Saunders : Je vis à Berlin, mais je viens de Londres. J’ai étudié la musique en Ecosse, à Edimbourg. Je crée beaucoup de projets complexes, des sortes de collages ou des installations autour de questions liées à l’espace scénique. Je m’intéresse particulièrement aux questions liées à la proximité ou la distance entre le musicien et son instrument et j’aime faire de l’instrument un protagoniste en soi.

DCH : Est-ce la première fois qu’une de vos œuvres est chorégraphiée ?

Rebecca Saunders : Pas tout à fait. Il y a déjà eu certaines expériences en ce sens à Berlin, comme Insideout, une pièce de Sasha Waltz qui a été présentée au Festival d’Avignon en 2007. Et le chorégraphe espagnol Antonio Ruz, ancien danseur à Genève, au Ballet de l’Opéra de Lyon et avec Nacho Duato, a créé  sur ma musique pour les danseurs de Sasha Waltz.

DCH : Fury II n’est pas d’une commande mais une œuvre préexistante. Pourquoi avoir choisi cette pièce ?

Rebecca Saunders : Fury II est une pièce que j’ai créée avec la Staatskapelle de Dresde (1), au cours d’une résidence qui a donné lieu à plusieurs compositions. Pour le projet Story Water, j’ai trouvé intéressant de choisir une composition pour soliste et orchestre pour faire du soliste un véritable protagoniste. Il évolue au milieu des danseurs tel un roc dans le paysage chorégraphique. Nous soulignons ainsi l’aspect très physique de la partition. Danse et musique fusionnent davantage. Le contrebassiste, au geste musical et physique très expressif,  crée une relation très intime avec son instrument. Entre les deux, c’est une danse de couple, une relation complexe et vivante, une vraie histoire d’amour ! Mais ce n’est pas facile pour le soliste ! Quand un musicien est ainsi exposé  aux regards il se sent carrément nu au début. Mais je pense qu’il va progressivement s’adapter et prendre son pied. Et je remercie Emanuel Gat de donner cet espace à la musique.

DCH : Le chef d’orchestre de l’Ensemble Modern, le français Franck Ollu, parle d’une musique très physique. Mais il le dit à propos de Dérive 2 de Pierre Boulez. Cependant, Fury II est aussi une partition très engagée et le titre mentionne la fureur !

Rebecca Saunders : On me demande souvent si je suis « furieuse ». Mais le titre se réfère au furioso musical. La fureur est ici vue comme un état énergétique. Il existe par ailleurs aussi une fureur silencieuse. Mais j’ai d’abord écrit la musique et choisi le titre est venu après.

DCH : Le soliste au milieu des danseurs est-il une sorte d’ambassadeur entre les danseurs et l’orchestre?

Rebecca Saunders : L’ensemble musical développe les résonances et les articulations musicales de la contrebasse. L’orchestre est assez restreint en nombre, mais il crée un univers sonore très large. Ce qui me fascine chez Emanuel Gat est sa capacité à transposer, de façon très subtile, les articulations dynamiques de la musique en langage chorégraphique. Il souligne merveilleusement les différences entre les moments cholériques et les interludes chaleureux et expressifs de la musique. Je suis très heureuse de son courage de dialoguer avec cette musique. Même à des moments où tous les danseurs sont couchés au sol, ils créent un vrai suspense.

DCH : Comment les danseurs et les musiciens communiquent-ils sur scène ?

Rebecca Saunders : On sent une grande attention entre les danseurs et les musiciens qui se transmettent mutuellement leurs états énergétiques. Les pauses sont assez extensibles et permettent de moduler ces états. Et il y a une relation forte entre le soliste et le chef d’orchestre qui se reflète dans l’attention des danseurs entre eux.

Emanuel Gat : Quand nous avons commencé à travailler à Francfort avec les musiciens, la présence des danseurs a fortement influencé leur interprétation de la musique.

DCH : Comment se distinguent Dérive 2 et Fury II ?

Emanuel Gat  : Les deux sont très physiques. Boulez développe une structure très rythmique alors que Rebecca Saunders passe de silence en silence. Elle expose le son et sa diffusion dans l’espace. C’est pourquoi nous avons voulu placer le soliste sur le plateau. Son travail est aussi très physique. En quelque sorte, il nous paraissait  facile de danser sur la musique de Saunders et très dur de danser sur celle de Boulez. Ce n’était  pas facile d’entrer dans l’univers de Dérive 2. Mais quand nous avons travaillé sur l’avènement du matériau chorégraphique, ces improvisations ont fait surgir une musicalité naturelle qui sied parfaitement à la pièce de Boulez. On s’arrête, on essaye quelque chose, on revient en arrière, et la musicalité surgit...

DCH : Vous travaillez donc ici de manière moins répétitive que d’habitude ?

Emanuel Gat : Comment dire ? Je peux vous assurer qu’ici nous répétons plus de mouvements que dans d’autres pièces. Mais la manière de mettre les choses ensemble peut changer la perception chez le spectateur. Dans d’autres pièces les gens nous renvoient souvent qu’ils perçoivent notre travail comme étant très répétitif, alors que nous ne répétons pas un seul mouvement ! Qu’est-ce qui crée le sentiment de la répétition ? C’est une question très intéressante...

Propos recueillis par Thomas Hahn

Du 19 au 23 juillet 2018 au Festival d'Avignon

(1) L’Orchestre National de la Saxe a été fondé en 1548 et a été dirigé, au cours de son histoire, entre autres par Carl Maria von Weber, Richard Wagner et Karl Böhm. Domicilié à la Semperoper, il est aujourd’hui dirigé par Christian Thielemann et Myung-Whun Chung en est le Premier Chef d’orchestre invité.

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