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Au-delà du krump : « Cellule » de Nach

Aussi courageuse que sensible, la krumpeuse Nach danse un autoportrait à fleur de peau.

C’est dans la communauté krump qu’Anne-Marie Van aka Nach s’est construit son identité de danseuse. Cellule est un solo et déjà, Nach y déjoue les attentes avec acuité. Car Cellule n’est pas précisément un solo de krump, mais l’autoportrait dansé d’une femme avec son désir de féminité et d’authenticité. Cellule retrace un parcours de vie, à travers la danse.

Né dans le ghetto de Los Angeles, le krump exulte une gestuelle éruptive, une attitude de lutte et un esprit de groupe basé sur une mythologie, fondée sur un narratif de gospel, dans le sens d’évangile. D’où son nom, l’acronyme de Kingdom radically uplifted mighty praise. Heddy Maalem a repris ces motifs dans le titre de son magistral Eloge du puissant royaume, pièce pour cinq danseurs basée sur le krump, créée en 2013. Nach était l’une des interprètes.

Et malgré le fait que le krump est un vecteur pour extérioriser et exorciser ses émotions, profondes et authentiques, l’appartenance à cette communauté faisait naître en Nach le sentiment d’un manque de possibles. Dans cet univers, la masculinité est mise en avant, par une danse saccadée au possible, toujours en force, déjouant toute forme d’harmonie chorégraphique.

Galerie photo © Raphaôel Stora

Un chemin vers soi

Cellule commence par là, sur fond de photos en noir et blanc qui saisissent discrètement cette communauté dans son énergie partagée. Ce premier tableau montre le point de départ de Nach, à savoir le krump dans ce qui le rapproche de la culture hip hop et de la boxe. Mais dès le deuxième tableau, le ton change. Dans une quasi-obscurité, à la lueur d’une lampe de poche, Nach transforme cette gestuelle codifiée en une exploration de son propre corps et de ce qu’elle est, créant au passage des images d’une poésie accomplie.

D’une existence où elle n’est finalement qu’une ombre – illustrée par sa silhouette anonyme dansant sur les murs du CND - Nach passe à la vérité sensible de son être et de son épiderme, se dévoilant  progressivement, jusqu’à enlever, dans une partie filmée, son dernier accoutrement : le bonnet. Et sa danse devient fluide, élancée, pleine d’harmonies, riche de moult perspective adressée au lointain, alors que la gestuelle du krump ne cesse de jouer avec l’idée de se heurter à une adversité, spatiale ou humaine. Assumant chaque fibre de son corps dans une musicalité ciselée, Nach pourrait tout aussi bien sortir de la compagnie d’Alvin Ailey.

Prises de paroles

A la fin de Cellule, Nach parle. D’abord sans mots, mais par un déluge d’expressions faciales qui valent conversation avec le public. Quand elle se tient debout face aux spectateurs, dansant avec son visage seul, son propre désir profond et celui du krump se rejoignent. On parle enfin de soi-même, à des personnes vivant dans un contexte social complètement différent. A La Ferronnerie, centre d’animation du 12e arrondissement de Paris, même une septuagénaire aux cheveux blancs a assisté au spectacle et a pu rencontrer Nach après la représentation.

Mais directement après les applaudissements (très chaleureux par ailleurs), la chorégraphe relève le défi le plus exigeant qui soit. Face au public, seule, elle prend la parole pour raconter son histoire, expliquer ce qu’est le krump, sa propre recherche d’une féminité librement assumée et sa quête de briser l’enfermement sous toutes ses formes.

Ce soir-là, elle trouve en plus le courage d’expliquer : « Aujourd’hui, pour la première fois, des krumpeurs sont dans la salle, et je suis très anxieuse de connaître leur réaction. » Les retrouvailles étaient chaleureuses. Cellule dessine un autoportrait sensible et émouvant, plein de maturité personnelle et artistique. Nach danse telle une clé, tournant dans la serrure de la maison krump, pour ouvrir de nouvelles portes.

Thomas Hahn

Spectacle vu le 23 décembre 2017 à la Ferronnerie, Paris 12e

Coproduction CDCN Atelier de Paris et La Ferronerie

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