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Au CN D, le voyage de La Ribot au « Happy Island »

La rencontre fulgurante entre la chorégraphe espagnole et une compagnie de danseurs « en situation de handicap » sur l’île de Madère.

Les choses, souvent, ne sont pas ce qu’elles semblent être, et cette différence est au cœur de Happy Island, où La Ribot travaille sur le décalage entre la réalité et notre perception ou nos idées préconçues. L’île de Madère, par exemple, ne se résume pas à ses côtes ensoleillées. Cette île se révèle être tout autant brumeuse, mystérieuse. Les interprètes professionnels de la compagnie Dançando com a Diferença (terme déjouant la notion de handicap) ont certes à lutter avec leurs difficultés individuelles au quotidien, mais en quoi cela les empêcherait-il de s’épanouir ? D’où le titre, Happy Island

Danser avec la différence

Le but est justement de démontrer que l’isolement n’est pas une fatalité et que toute différence est subjective. Il existe de multiples façons de créer des spectacles avec des personnes atteintes, comme celles de Dançando com a Diferença, d’autisme, de troubles moteurs, du syndrome de Down ou autres handicaps qu’on a pris l’habitude de résumer sous l’étrange appellation de « situation », terme qui résonne avec « isolement ».  Aurait-on eu l’idée, il y a vingt ans, de décrire Bobò, l’acteur microcéphale de la compagnie de Pippo Delbono, comme une personne « en situation de... » ? 

Plus que les villes qui sont conçues pour des personnes « valides », la scène offre à chacun.e la possibilité de construire un univers adapté et de se sentir pleinement chez soi, à la fois dans son corps et dans ses rêves. On le sait, la scène devient ainsi un espace de liberté. Happy Island le démontre avec panache. La création commune de La Ribot et des danseuses et danseurs de la compagnie madéroise reprend le flambeau de multiples compagnies comme L’Oiseau Mouche en France, des Anglais de Stopgap Dance ou des Suisses de Theater Hora, remarqués par le monde de la danse dans Disabled Theater de Jérôme Bel. Dançando com a Diferença, compagnie fondée en 2001, a par ailleurs créé une pièce avec Tania Carvalho en 2017. 

Rêves et réflexions

Du plateau aux vidéos, le rêve a sa place dans Happy Island, autant que la réflexion et une dimension documentaire, avec des interviews où certains danseurs parlent de leur rapport à la vie, d’espoir, de confiance, des limites qui sont dans les têtes et de sexualité. que les vidéos sur grand écran, où l’on voit l’ensemble de la compagnie faisant la fête à la vie. Entre les arbres féeriques de la forêt de Fanal (Madère), certains prennent la parole pour s’exprimer. Ils sont ainsi présents dans la pièce, même s’ils ne sont pas sur scène. C’est juste une histoire de budget de production, nous assure-t-on, d’autant plus que le but de la pièce est d’inclure, et pas le contraire. 

Inclure le rêve et les légendes. Une combinaison dorée et scintillante comme un boule à facettes pour Barbara Matos, un tutu rouge couvrant presque le corps entier pour Sofia Marote, un juste-au-corps au dessin de serpent pour Maria Joao Pereira, un simple slip argenté pour Joana Caetano, une couronne à plumes qui passe de l’une à l’autre… Les costumes sont à la mesure de la transfiguration, et les manières contraintes de se mouvoir, différentes pour chacune, permettent de percer les limites normatives et de réinventer sa condition. 

Humour et transformations

Quand Pereira sort, difficilement, de son fauteuil roulant pour s’asseoir au sol et enfiler la coiffe de danseuse de revue, se bras tremblent. Mais la musique de piano haletante de Francesco Tristano transforme cet acte en thriller à la manière d’un film burlesque. En compagnie de La Ribot, les membres de la compagnie savent traiter leur condition avec humour…

Les univers de Robyn Orlin ou de Jérôme Bel (en pensant ici à Gala) ne sont pas loin de ce show carnavalesque et philosophique, où chaque protagoniste voit sa « situation » investir un champ nouveau, ouvert à d’autres possibles. Même les images participent à la recherche du soi-même occulté, quand  les néons d’un tunnel, traversé en voiture, se transforment en gouttes cosmiques, comme aspirées par le vide. Oui, la compagnie Dançando com a Diferença est une île heureuse en soi, et ouverte aux rencontres. 

Thomas Hahn

Spectacle vu au Centre National de la Danse, le 8 novembre 2019, dans le cadre du Festival d’Automne

En tournée : 

Le 13 novembre 2019 à Montbéliard, Ma Scène Nationale

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