Arthur Perole crée « Tendre Carcasse »
Au Pavillon Noir d’Aix-en-Provence, une enquête dansée sur les joies et inquiétudes face à la vie à venir.
Tout a commencé par une étude de terrain. A la rentrée scolaire 2020, en pleine pandémie, Arthur Perole et le cinéaste Pascal Catheland rencontrent des jeunes, dans un collège à Draguignan. Ils les interrogent sur ce qu’elles et ils attendent de la vie, du monde, du futur... Aussi parle-t-on amour, politique et visions, et c’est ainsi que se construit un film documentaire présenté au public pour la première fois en 2022. Son titre : Rêves. (1)
Pourtant, le monde qui les attend ne les fait pas rêver. Au fil des entretiens, ils dessinent plutôt des cauchemars. Mais Perole, Catheland et les jeunes se retrouvent tous les mois. Le but : Offrir des « outils d’évasion ». Et ça marche, la confiance s’instaurant : « A partir de l’imaginaire qu’ils arrivent peu à peu à libérer, nous commençons à rêver une grande fête colorée et déguisée », écrit Perole.
Cette ouverture sur un rêve libératoire sera, en quelque sorte, le scénario de Tendre Carcasse, un quatuor sous l’influence de Rêves, mais en procédé inversé. Car les danseurs de La CieF de Perole sont aujourd’hui à l’endroit de la vie que les jeunes collégiens redoutent ou rêvent pour l’instant. Pour les danseurs, de dix ans leurs ainés, ces moments sont des souvenirs qu’ils dévoilent, témoignant à leur tour depuis les endroits les plus intimes. Et ils ne sont pas encore déconnectés des questionnements qui taraudent les ados.
« Je suis cool, un peu paumé », dit Mathis. Et aussi : « J’ai commencé à avoir un style. » A l’adolescence, se construire, se définir, c’est tout l’enjeu, et la relation qu’on entretient avec son corps définit le rapport à soi-même, aux autres, au présent et au futur. Et ce d’autant plus quand on fait partie de minorités sexuelles. On parle aussi de ça dans Tendre Carcasse, et les danseurs restituent les hésitations de l’adolescence, dont celles qu’ils ont vécues en leur chair.
Galerie photo © Nina Flore Hernandez
Le lien avec l’enquête auprès des collégiens est donc authentique. D’une part, les souvenirs encore saisissables, gravés sous la peau. D’autre part, une complicité naturelle qui vient du fait que danseuses et danseurs partagent avec les ados le sentiment du doute permanent par rapport à leurs corps et son attractivité. On redoute et subit le regard de l’autre puisqu’on continue de se mesurer à l’aune d’un idéal. Aussi trouve-t-on peut-être qu’on a « les pieds un peu chelou », voire une étrange « relation buste-jambes ». Mais par rapport aux collégiens, une crainte peut s’ajouter à leur âge, celle de la calvitie : « Je suis en sursis capillaire ! » Tout avenir porte sa part d’inquiétude…
Les quatre interprètes de Tendre Carcasse sont authentiques, autant en nous parlant qu’en se glissant petit à petit dans les gestes que Perole a puisés dans leurs propres danses festives. Ils passent par une série d’états de corps prédéfinis, mais vont progressivement apprendre à s’assumer. Petit à petit, une légèreté bienvenue s’empare du quatuor et la danse se fait festive, poussée par les rythmes technos et la quête d’un état sans limites, dans lequel on se jetterait comme pour s’y perdre, état porté par les envies d’absolu qui correspondent à un moment charnière de la vie. A l’instar des contes de fées, Tendre Carcassepart des angoisses fondamentales pour les dépasser et célébrer la beauté de la vie. Mention spéciale pour Elisabeth Merle qui, en magnifiant la figure du lâcher-prise, semble épouser le vide et s’envoler pour de bon.
Thomas Hahn
Vu le 10 novembre, Pavillon Noir, Aix-en-Provence
Tendre Carcasse
Conception, mise en scène : Arthur Perole
Chorégraphie : Arthur Perole avec la collaboration des interprètes : Arthur Bateau, Matthis Laine Silas, Elisabeth Merle, Agathe Saurel
Collaborateur artistique : Alexandre Da Silva
Création Lumière : Anthony Merlaud
Création costumes : Camille Penager
Créateur sonore : Benoit Martin
Tournée 2024 :
6 et 7 février Marseille, ZEF, avec KLAP Maison pour la danse
29 et 30 mai Paris, Le Carreau du Temple, avec le festival June Event
(1) Rêves est à voir :
Marseille, Le Gyptis : le 29 novembre, les 5, 7 et 9 décembre 2023
Paris, Saint-André des Arts : le 30 novembre
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