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« Are friends electric ? » de Yuval Pick

Le Festival Art-Danse Bourgogne relance la curiosité pour une forte pièce, à l'écoute des premières musiques électroniques. 

Il faut se méfier des idées pré-conçues. On en cultivait une au moment d'entrer dans la salle de l'Opéra de Dijon, où le festival Art-Danse marquait l'ouverture de sa 30e édition, en montrant Are friends electric ?, de Yuval Pick. Un public largement juvénile – ce qui fait chaud au coeur – s'était rassemblé pour découvrir cette pièce, trop peu vue depuis sa création (du moins à Paris, où sa diffusion s'en est tenue à de rares soirées peu fréquentées au Centquatre).

L'idée préconçue qu'on avait consister à prendre toute la mesure pionnière de la bande-son de ce spectacle. Soit un florilège de morceaux du groupe musical allemand Kraftwerk, remontant à la deuxième moitié des années 70 du siècle dernier. Ces musiciens jouent alors de toutes les innovations touchant au traitement du son. Leurs formats, plutôt pop mais glacés, réfléchissent sur l'état des contemporains d'alors, déjà au bord de la grande bascule civilisationnelle dans les nouvelles technologies.

Aujourd'hui, il est devenu commun de situer l'apport de Kraftwerk comme l'une des sources du grand mouvement des musiques électroniques. Dans les années 90 et 2000, la techno se tourna vers le groupe allemand comme vers des grand-pères. A cette aune, on attendait d'observer la façon dont le chorégraphe Yuval Pick, au moment de se tourner vers une mémoire de quatre décennies en arrière, allait relever le gant de se montrer lui-même pionnier aujourd'hui dans son propre art. Sans quoi, on pourrait le suspecter de s'en tenir à un hommage studieux.

Mais pareille problématique s'effondre à l'écoute des morceaux de Kraftwerk. On n'y entend rien qui fasse lien direct avec la sonorité techno du tournant du millénaire. Chez Kraftwerk, les morceaux son brefs, volontiers chantés, peu enclins aux boucles répétitives, et sans dégagement d'horizons sensuels infinis. Bref, si filiation il y a, alors elle est complexe, elle emprunte des chemins tortueux. S'y effrite l'évidence de la référence que les sons d'aujourd'hui pourraient opérer en direction de ceux d'il y a quarante ans. L'acte chorégraphique que pose Yuval Pick s'en trouve comme affranchi.

Galerie photo © Laurent Philippe

Il aura composé une pièce qui se pose en regard de la musique, s'en détache et permet de l'entendre claire, dans un rapport distancé, non linéaire ni littéral. Dès l'entrée des six danseurs (dont deux danseuses) en scène, un ton résolu et franc est donné. On lui trouvera parfois des accents presque martiaux. Il y a un goût de conquête, en tout cas d'affirmation d'un nouveau monde, dans cette pièce.

La scénographie s'en tient à une sorte de grande flèche de tubes de néons (six mètres de longueur) fichée dans le plateau. Comme cela, Are friends electric ? se développe avec des idées claires. La grande option du directeur du CCN de Rillieux-la-Pape aura été de déceler, chez Kraftwerk, les inventeurs d'un nouveau romantisme allemand, sur les décombres du désastre nazi. Mais le grand rapport de l'homme à son environnement, s'y joue alors avec un monde désormais urbain, industriel et technologique, et non plus avec une nature habitée de projections mythiques.

Les interprètes se touchent peu – comme toujours chez Yuval Pick, dont il faut noter qu'il est l'un des derniers à cultiver le modèle de la troupe permanente. Il concède toutefois d'en venir à l'unisson, pour le tableau final. Bien sûr, cela flatte les attentes du public, ainsi pourvu d'une résolution fusionnelle. Mais cela est suffisamment bref, pour qu'on n'oublie en rien le vaste déploiement, accidenté et complexe, qui précède.

Ne se touchant pas, les interprètes s'observent cependant avec intensité. Leurs évolutions peuvent se percevoir comme de fortes inductions solistes, susceptibles de se combiner entre elles. La trame des regards, très tendue, y apporte la visée dramaturgique de groupe. Sans quoi, les danseurs paraissent souvent combattre un environnement résistant, s'y jettent comme à la brasse, avec une force qui agrippe l'espace, l'essore, en s'affrontant à un vide très chargé pour atteindre son but. Les engagements sont âpres, les ceintures scapulaires très chahutées, dans une profusion généreuse de motifs, de pliés en cassés. Les changements de directions abondent, vifs. Soudain des accents sautés, parfois sur place, éventuellement robotisants, harponnent le plateau dans un martellement industriel.

Comme amplifiés, les corps d'Are friends electric ? circulent dans un entrelacs tensionnel dont les tonalités de base sont finalement très homogènes. On trouve ces danseurs à la fois farouches et pleins de profondeur.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 19 janvier à Dijon.

Poursuite du festival jusqu'au 13 février. www.art-danse.org

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