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Agnès Pelletier et Marlène Rubinelli Giordano médusent l’espace public

Danse-théâtre et cirque chorégraphique :  Au Festival des Arts de Bordeaux, l’art perméable aux spectateurs. 

Au Festival des Arts de Bordeaux (FAB), les architectes de l’absurde ont imposé leur marque de fabrique, et on s’y est régalé. Les uns ont installé, sur la place Pey Berland face à la cathédrale, une maison sans murs ni fenêtres, a priori privée mais ici publique. Les autres ont érigé, sur la place Stalingrad, au bout du Pont de Pierre, une maison en carton qu’ils commencèrent à construire par le toit ! D’autres encore ont installé dans un parc des cadres de porte avec rideaux à rubans pour faire entrer le public dans un espace – a priori public mais privatisé pour l’occasion – dans lequel il se trouvait déjà... Et pourtant, le FAB n’est pas le festival de l’architecture ni le festival de l’absurde, mais bien le Festival des Arts  de Bordeaux.

Qui dort, n’habite pas

On va donc parler danse-théâtre avec la compagnie Volubilis et cirque chorégraphique avec Marlène Rubinelli-Giordano. Entre autres… Habiter n’est pas dormir, disent Agnès Pelletier et Christian Lanes, avec les danseurs-acteurs de la compagnie Volubilis. Il est vrai qu’ils auraient du mal à dormir, dans leur baraque qui ne tient que par ses poutres : ni murs, ni cloisons, ni toiture, ni fenêtres... Une vraie passoire énergétique, où la chaleur des interprètes se transmet au public sans que l’on sache si le 4e mur reste à démolir. Aussi l’esprit absurde de cette installation n’a aucun mal à atteindre le public qui se masse tout autour du petit carré, idéalement situé, comme diraient les agents immobiliers. Mais combien vaut-il, le mètre carré en plein centre-ville, quand l’appartement est à ce point traversant ?

Le séjour y est parfaitement équipé, la cuisine et la chambre aussi. On repère la baignoire et même les WC. Sauf que là il y a une porte et des cloisons ! C’est donc l’unique espace réellement privé, mais quand la porte s’ouvre, une lumière rose jaillit de l’intérieur. Au-delà des questions architecturales, on se questionne sur les habitants qui se retrouvent dans cette maison.  Sont-ils venus pour suivre le match de foot qu’ils semblent regarder à un moment ou bien pour la danse qui clôt leur soirée ? Est-ce une réunion familiale ? S’ils vivent dans cette maison (de ville), ils n’y passeront pourtant pas la nuit. Car en effet, un lit et un canapé ne suffisent pas pour cinq hommes et deux femmes.

Jouer n’est pas s’exhiber

En observant leur absurde réunion, on songe à des situations charnière, aux drames familiaux, aux grandes explications lors de retrouvailles dans la maison familiale. Reviennent à l’esprit les pièces de théâtre d’un Jean-Luc Lagarce, entre autres le fameux J'étais dans ma maison et j'attendais que la pluie vienne. Mais on comprend bien qu’ici, en cas de pluie, il n’y aurait plus de pièce. Aussi on les voit surtout habiter et donc cuisiner, converser, se faire beau (les hommes !), s’extasier (le foot !) et danser, d’abord en mode danse-théâtre (qui est la signature de Volubilis) et puis en mode festif. Pendant ce temps une (fausse?) spectatrice fait incursion et s’indigne (sans paroles) face à tant d’exhibition d’intimité sur la place publique.

C’est pourtant l’architecte qui est à mettre en cause pour avoir laissé son ouvrage délibérément inachevé. Et puisque Habiter n’est pas dormir, on termine tout de même, à la nuit tombante, sur des applaudissements (et pas sous la couette), juste pour les retrouver le lendemain dans la partie performative, car cette maison transparente est effectivement le lieu de vie du septet. La nouvelle pièce de Volubilis étant encore en train de pendre la crémaillère, Agnès Pelletier livre en toute fraîcheur une œuvre transparente, ensoleillée, aux finitions soignées et particulièrement aérée. Habitable de suite…

Galerie photo © Thomas Hahn

Cartons, scotch et feuillage

On traverse alors le Pont de Pierre, en direction de la maison en carton imaginée par Olivier Grossetête et encore en construction ce jour-là, grâce à la participation de nombreux bénévoles. Beaucoup de boîtes, beaucoup de scotch et, on l’espère, pas trop de vent pour une construction en œuvre collective qui s’élança par le soulèvement de la toiture, portée par des bras, nombreux et pas toujours gros. Ainsi peut construire qui part d’une logique de préfabriqué, fabriquant une sorte de pré où il fait bon vivre ensemble. Et c’est ainsi que ce plasticien marseillais a déjà construit des cathédrales éphémères. Ephémères parce que chez Grossetête comme chez Volubilis, ce n’est pas la construction (éphémère) qui est au centre, mais sa perméabilité et les échanges qu’elle favorise.

Ensuite, en retraversant le Pont de Pierre, on remarqua éventuellement de drôles de mannequins jonchant les lampadaires, des corps couverts de feuillage, comme faits de matériaux à la dérive dans la Garonne et qui se seraient amassés. Ces personnages, que Monsieur Pheraille, fondateur de la compagnie Le Phun, appelle , semblent ici rappeler la disparition par noyade d’un certain nombre de jeunes hommes dans la Garonne, surtout entre 2011 et 2013. Sur les traces d’une chorégraphie lente, ces mannequins végétaux se déplacent et peuvent surprendre les passant qui passent leur chemin. Leur douce subversion contient aussi un appel à la décélération, et peut-être une demande à pouvoir se réchauffer dans la maison pour et par tout.e.s d’Olivier Grossetête.

Galerie photo © Thomas Hahn

Un parc sous influence

Loin de là, à Saint-Médard, les Médusé.e.s  de Marlene Rubinelli Giordano occupèrent le Parc de l’Ingénieur. Où l’on entra d’abord pour ensuite traverser des rideaux à rubans installés pour l’occasion et se lancer, dans un espace qu’on imaginait désormais transfiguré, sur un parcours où l’on rencontra un certain nombre de solitudes circassiennes. Car Rubinelli Giordano ne se contente pas de nous méduser, elle veut de surcroît nous confronter à qui nous sommes, intimément.

On traverse donc le parc et on croise, sur le principe ancien de l’entresort (mais en plein air), une acrobate aux sangles (Emma Verbeke), un contorsionniste dans un cube tamisé (Adalberto Fernandez Torres), une femme attachée à sa chaise entre les branches d’un arbre (Marlène Rubinelli Giordano herself), un poète de la chute au mât chinois (Antonin Bailles) et pour terminer, une artiste au cerceau (Monika Neverauskaite) qui se sert de son agrès pour inviter le public à la rejoindre sur le plancher en passant par cette porte symbolique, terminant Médusé.e.s  en se rassemblant autour des artistes, le FAB affichant par cette série de spectacles, performances et installations qu’il ne s’agit pas seulement de faire tomber le 4e mur, mais tous les murs, les toits inclus.

Thomas Hahn

Vus les 7 et 8 octobre au Festival des Arts de Bordeaux

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