Abou Lagraa : « Le Cantique des cantiques »
Abou Lagraa s’attaque au Cantique des Cantiques, monument poétique de l’Ancien testament, pour créer une danse contemporaine narrative « à la portée de tous ».
Ce n’est pas un mince paradoxe que de choisir cette écriture complexe, énigmatique, et venue d’un autre âge, pour ancrer dans les corps une parole immédiatement intelligible pour le plus grand nombre. C’est pourquoi le chorégraphe franco-algérien s’est adjoint le metteur en scène Mikaël Serre et a choisi la traduction d’Olivier Cadiot et Michel Berder qui, effectivement, donne au texte un souffle d’actualité.
Mais s’atteler à une poétique aussi mystérieuse suppose déjà une interprétation. Pour Abou Lagraa, il s’agit d’extraire « l’amour de l’hypocrisie». Et pour ce faire, il choisit de faire jouer l’homme et la femme par deux comédiennes, car le poème parle « de toutes les formes de sexualité ».
Sur le plateau, délimité par un rideau de fils sur lequel sont projetées des images, la danse est fébrile, rapide, spasmodique. Les corps précipités dans l’urgence, vrillent, se tordent, ou s’éploient en interrogations langoureuses où domine, malgré tout, la violence.
Le texte, d’un érotisme intense, démultiplie le rapport amoureux dont il est question dans le poème, en autant de duos, de trios, figures du désir, de la fuite, de la fusion et de la lutte, comme autant de désordres amoureux licites ou illicites.
Les six danseurs sont extraordinaires dans la fulgurance de leurs mouvements, leur gestuelle vibrante et sensuelle, et, fait rare, les comédiennes ne sont pas en reste, et se meuvent avec une belle aisance. Passant du fluide à la saccade, de l’abandon aux bonds, la chorégraphie semble parler la langue rocailleuse de la Bible.
Les projections en fond de scène enlacent avec malice religion et sexualité, en faisant apparaître une femme portant le niqab qui se métamorphose en sainte chrétienne au corps dénudé… rappelant par là que le Cantique est un texte fondateur et que le voile n’est pas que musulman.
Reste le poids du sens que suppose toute narration. Là, il est un peu trop massif – au sens pondéral du terme. Au texte du Cantique, revu et corrigé, s’ajoute une conférence du philosophe et psychanalyste Slavoj Žižek, fer de lance de la « pop philosophie » mariant Marx à Matrix, ou Hitchcock à Hegel qui s’intéresse à l’islam et la modernité. Pourquoi pas. Reste que le texte est déclamé – quand il n’est pas hurlé – façon antique et surjoué, et que la gestuelle devient alors redondante et trop explicite, comme dans la scène du viol (qui paraît-il et selon le chorégraphe existe dans le texte). C’est dommage, mais le temps et les tournées peuvent sans doute apporter les nuances qui manquaient à la première à la Maison de la Danse de Lyon.
À la fin, s’affichent des textes tirés de la charte des Droits de l’Union européenne, traitant de la tolérance, ou de l’interdiction de refouler les peuples… faisant signe vers notre actualité la plus brûlante. C’est louable et nécessaire, mais ça manque un peu de subtilité… Il faut dire que les attaques scandaleuses du Front National contre le chorégraphe à Annonay ne font pas non plus dans la dentelle et ceci explique sans doute cela.
Agnès Izrine
16 septembre 2015 - Maison de la Danse de Lyon
La compagnie La Baraka bénéficie du soutien de la Fondation BNP-Paribas.
À venir :
16 octobre au Théâtre Jean-Vilar de Suresnes
24 et 25 novembre à Bonlieu, Scène Nationale
8 et 9 janvier au Grand Théâtre de Provence à Aix-en-Provence,
26 et 27 janvier à l’Espace des Arts, Scène Nationale de Chalon-sur-Saône,
19 février au Théâtre Jean-Vilar de Vitry-sur-Seine
20 au 22 mai au Gémeaux, Scène Nationale de Sceaux.
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