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« Works » d’Emanuel Gat

Rarement titre, dans sa sobriété même, aura été plus adéquat. Works, d’Emanuel Gat, est une quintessence de ce que le chorégraphe est capable de produire et de créer. Ses œuvres, son œuvre. 

A l’origine de Works, il y a les Ten Works (for Jean-Paul) créées au festival de Montpellier Danse et dédiées à son directeur Jean-Paul Montanari. Interprétées conjointement par dix danseurs de la Emmanuel Gat Dance et dix autres du Ballet de Lyon, ces dix courtes pièces enchaînées se présentaient comme une sorte de variation libre sur les diverses thématiques, procédés et lignes de force qui conduisent depuis vingt ans l’écriture d’Emmanuel Gat. De cette matrice au charme évanescent, l’artiste a fait deux ans plus tard une œuvre puissante qui marque à l‘évidence une étape dans sa carrière.

Galerie photo © Laurent Philippe

Toutes proportions gardées, on ne peut s’empêcher de penser, en voyant Works, au magnifique Quiet Evening of Dance de William Forsythe découvert l’an passé à Montpellier danse également. Ce qui les rassemble l’un et l’autre est un même désir d’inscrire dans le temps d’une représentation non seulement un spectacle mais une véritable leçon de danse. Sans lourdeur ni didactisme, l’un et l’autre donnent à voir la beauté du geste, la façon qu’ont les corps d’habiter l’espace, voire de le créer autour d’eux, l’immense savoir-faire des interprètes et leur goût du risque, enfin le miraculeux équilibre entre le foisonnement des possibles et l’évidence du dessin - et du dessein - artistique qui fonde une chorégraphie. Chacun, bien entendu, avec son style propre. 

Galerie photo © Laurent Philippe

Dans Works, celui d’Emanuel Gat trouve une sorte de plénitude. En la confiant à sa seule compagnie, le chorégraphe a beaucoup retravaillé sa matière initiale, au point que l’on peine à retrouver dans ce qui nous est donné à voir les souvenirs de la création qui l’a inspiré. Epurée, acérée, la pièce apparaît comme une grammaire gestuelle aussi libre qu’exigeante. Célébrant les danseurs, elle puise sa source dans leurs mouvements, leurs attitudes, leurs déplacements, leurs échanges. Le tout dans un savant dosage de contraintes et d’improvisation, de construction extrêmement ajustée et d’indépendance. Galaxie de corps et de talents portée par une compagnie au meilleur de sa forme, Works se déploie dans un flux permanent de reconfigurations, tel un processus créatif qui se réinvente sans cesse sous nos yeux. Son apparente spontanéité est orchestrée de main de maître par un deus ex machina en pleine possession de ses moyens, qui crée tout du long de véritables instants de grâce. 

Galerie photo © Laurent Philippe

L’ouverture, à cet égard, est particulièrement réussie. Dans le silence comme avec le sublime Im Abendrot chanté par Jessye Norman, les interprètes posent les règles du jeu : les regards, les multiples façons d’être au plateau et au monde, les temps dont le décompte s’affiche en bord de scèn,. La suite, jusqu’au final sur le fameux Sinnerman de Nina Simone, ne fait que confirmer cette jubilation initiale. Ordonnée en six séquences avec chacun leur tonalité propre, la succession de duos, trios, quatuors et ensembles compose une ode magnifique à la liberté des corps. 

Isabelle Calabre 

Vu au Théâtre de la danse Chaillot le 8 janvier 2020. 

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