Error message

The file could not be created.

A Uzès, La Maison danse… presque partout !

Murs et pavés, humour et gestes : A partir d’un Cunningham réinventé, la danse s’est jouée dans (et de) la ville.

La première édition du festival uzétien programmée par Emilie Peluchon [lire notre interview] a su transformer la ville en un partenaire chorégraphique majeur. Ruelles, façades et pavés, vieille pierre cours cachées, parce et forêts, tout est devenu terrain de jeu chorégraphique. Certes on n’attendait rien d’autre en se rendant dans la cité de l’Evêché pour suivre en particulier le weekend de clôture. Mais la finesse des propositions, souvent à la fois délicates et joyeuses, a su enchanter la ville au-delà de tous les présages.

Ce fil conducteur de La Maison danse  #1, Ambra Senatore le fit apparaître au début de sa Promenade à Uzès, rembobinant un fil de laine. Rouge, très rouge. Et d’expliquer le changement historique des métiers dans la cité au fil des siècles, entre la laine et la soie. Un trio chorégraphique et burlesque, des anecdotes à volonté, des inscriptions dans les façades qu’on ne remarquerait jamais sans l’œil avisé de la chorégraphe, l’histoire de toutes les époques, les mouvements de populations, les histoires d’évasions de prison et d’amourettes avec leurs conséquences sur l’aspect actuel de la ville, le plus souvent rendus par des sketches dansés en se frottant aux murs et aux grilles : Avec Ambra Senatore, tout cela devient pur amusement.

Galerie photo © Thomas Hahn

Cunningham hors des sentiers battus

La ville appartenait à la danse tout autant avec un sextuor cunninghamien sous l'égide d'Anna Chirescu, Ashley Chen et Cheryl Therrien, tenant fermement un autre fil rouge de cette édition. Car il est apparu au fil des propositions qu’Emilie Peluchon tient à une écriture du geste aussi précise que signifiante. Ce qu’elle confirme volontiers. Et si on cherche un geste net et tranché, il faut commencer soit en classique, soit chez Cunningham. En partant de la place aux Herbes, guidés par les danseurs, on arriva dans une cour cachée entre immeubles et jardins offrant des points de vue multiples.

Amener le langage de l’Américain jusque dans un endroit où il n’aurait jamais dû apparaître, voilà le sens de l’Event, et plus encore car il est rare de se trouver plus éloigné encore de toute idée de lieu spectaculaire. Pour la petite histoire, après leur repérage réussi le jeudi, les artistes avaient même le plus grand mal à retrouver l’endroit le lendemain, vendredi. Et puis, samedi, au cours de l’invasion chorégraphique, si certains habitants manifestèrent de l’intérêt, d’autres donnaient à comprendre qu’il ne fallait pas les déranger dans leur quiétude ! Aussi la danse de Cunningham trouva le sens originel et subversif des arts de la rue…

Galerie photo © Thomas Hahn

Le jeu de Dime a Dance

On retrouva ensuite le même sextuor dans le Jardin du Temple, lieu bien moins solennel que son nom ne le laisse entendre. Au contraire, entre quatre gradins, sur un plancher installé pour l’occasion, la maîtresse du jeu Cheryl Therrien lança les dés avec un sourire décontracté, déterminant par treize fois la durée, la musique, le style, des « paramètres spatiaux » et le nombre de danseurs à se lancer dans des improvisations loufoques, parfois désignées comme « tango », « polka » ou « swing ». Dans cet hommage à Cunningham, ceux qui montent dans l’arène – il s’agit d’Ashley Chen, Anna Chirescu, Pauline Colemard, Mai Ishiwata et Julien Monty – s’amusèrent avec l’idée de l’Event. En toute liberté.

Car de Dime a Dance, créé en 1953, seules les règles du jeu sont aujourd’hui connues et les artistes ne déposèrent d’aucune autre trace concernant la chorégraphie. Entrer dans l’univers de Merce Cunningham avec autant d’humour, où les danseurs sautent, imitent des animaux, se pourchassent ou s’accrochent l’un à l’autre et montrent aussi leur épuisement, où ils vont parfois au contact des spectateurs, est une aubaine pour tout événement chorégraphique ou autre festival, car quand ce Cunningham à la réputation si austère permet de s’égayer de la sorte, la danse devient une affaire pour tout le monde.

Galerie photo © Thomas Hahn

L’écrin de l’Ancien Lavoir

A ce jardin improbable s’ajouta l’Ancien Lavoir, lieu à couper le souffle par le charme de sa décrépitude. Danser entre les ruines est un rêve, un fantasme. Et l’honneur d’inaugurer ce lieu rappelant les sites antiques les plus romantiques fut accordé à Delphine Mothes. Dans son solo Pieces of my heart, cette artiste chorégraphique occitane trace une gestuelle comme tirée au cordeau qui doit autant au ballet qu’à sa formation à l’Académie expérimentale de la danse à Salzbourg et CDCN de Toulouse. On pense aussi aux arts martiaux quand son corps se plie tel un arc ou mesure le temps dans une régularité très philosophique, alors que chaque développé, chaque inclinaison du buste, chaque torsion surprend à nouveau. Sans doute emporté par l’ambiance, on se surprit à deviner, derrière la finesse du corps et du mouvement, un soupçon de mort du cygne…

Galerie photo © Thomas Hahn

Danses de proximité

En investissant le Jardin du Temple et l’Ancien Lavoir, Emilie Peluchon ajoute aux sites « classiques » du festival –dont surtout la scène montée face à l’Evêché – quelques joyaux de proximité qui permettent à la danse des échanges quasiment personnels avec le spectateur, le public entourant les aires de jeu d’au moins trois côtés. La danse s’y improvise, se nourrit de l’énergie du public et des sites et les interprètes se surpassent à leur insu. Aussi un spectacle peut créer la surprise, y inclus pour les artistes. Et le festival, placé sous son nouveau nom, prend un envol communicatif et libérateur. A quoi s’ajoutera, dès l’automne, un nouveau festival en direction d’un public jeune et familial. La symbolique de la renaissance est forte car si Uzès est, comme l’évoqua Ambra Senatore, non seulement construit sur une colline, mais aussi au-dessus d’une nappe qui faisait remonter l’eau dès qu’on creusait la terre, force est de constater qu’aux nombreux puits de la ville s’ajouta ici un jaillissement chorégraphique particulièrement rafraichissant.

Thomas Hahn

Spectacles vus les 10 et 11 juin 2023, festival La Maison danse-  Uzès

 
Catégories: 

Add new comment