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Triennale Danse l'Afrique Danse ! : Retour à Ouagadougou

On fêtera plusieurs anniversaires ce week-end à Ouagadougou, capitale du Burkina Faso, en Afrique de l'ouest francophone. Là débutera le dixième grand rendez-vous de la scène chorégraphique contemporaine de tout le continent africain. La première édition de cette manifestation s'était tenue au milieu des années 90, dans un Luanda (capitale de l'Angola) encore endommagé par la guerre.

Lancée de manière volontariste par quelques personnalités marquantes de la scène chorégraphique africaine et/ou française (Alphonse Thierrou, Germaine Acogny, Mathilde Monnier), cette manifestation était alors biennale, et complètement portée par ce qui s'appelait alors l'AFAA, agence opérationnelle de la diplomatie culturelle française. Il s'agissait de mettre en lumière une toute nouvelle génération de chorégraphes d'Afrique, gagnés par la tentation d'une expression contemporaine qui leur soit propre. Cela sous la forme d'un concours à l'échelle continentale.
Aujourd'hui la biennale est devenue triennale et s'appelle  Danse l'Afrique danse ! Des plateformes intercalées ont essaimé, touchant des régions plus resserrées. L'AFAA s'appelle désormais Institut français. Plutôt qu'un concours aux effets trop ponctuels sur des compagnies fragiles laissées sans lendemain, des projets de création sont accompagnés au long cours, sans concours. Un comité de pilotage réunit des figures africaines de la chorégraphie. Une nouvelle génération d'artistes se déploie, volontiers plus connectée sur Internet que sur les vieux établissements du réseau culturel français dans les capitales africaines.

L'autre anniversaire fêté à Ouagadougou sera le dixième de l'ouverture de La Termitière, un Centre de développement chorégraphique, en son temps prototype du genre sur le continent africain. Axé avant tout sur la formation de danseurs et chorégraphes, cet établissement est co-dirigé par  Salia Sanou et Seydou Boro, qui furent figures de proue d'envergure continentale, pour la génération des années 90. D'éditions en éditions, Danse l'Afrique danse ! aura beaucoup voyagé sur les bords du continent en vingt ans (Angola, Afrique du sud, Madagascar, Tunisie), semblant esquiver l'Afrique noire occidentale francophone (avec une seule édition, à Bamako). D'une certaine manière, même si elle n'y a jamais eu lieu, sa tenue en 2016 à Ouagadougou résonne avec quelque chose d'un "grand retour" dans l'un des foyers d'origine de ce courant artistique.

Des figures tutélaires, Germaine Acogny, Irène Tassembedo, Elsa Wolliaston, seront actives, jusque sur scène, pour cette édition. Trois grandes aînées, issues de la génération des années 70 et 80. Mais c'est encore une femme, jeune, allègrement vêtue, qui se trouve en couverture des documents de communication pour le rendez-vous de Ouagadougou. Cette option ne doit rien au hasard. La capitale du Burkina Faso a eu, elle aussi, à souffrir d'attentats islamistes radicaux ces derniers mois. Au point que la tenue de la Triennale de danse, a paru un temps menacée. Cet événement attire nombre d'artistes et professionnels (trois cents attendus cette année), souvent occidentaux ; avec questions de sécurité à la clé.

Tout cela touche au point sensible de la danse, l'expression par le corps, le corps féminin particulièrement. C'est brûlant. Dans son éditorial d'accueil, la chorégraphe burkinabé Irène Tassembedo désigne le développement artistique comme « une arme de construction massive », à opposer aux menaces du temps. La reprise d'Um solo para cinco figure dans la programmation 2016 de la Triennale. Ce choix vaut manifeste. En 2003 à Antananativo, la nudité intégrale des interprètes féminines de cette pièce d'Augusto Cuvilas avait fait scandale, y compris pour certains artistes de la biennale d'alors.

 

La reprise d'autres pièces marquantes de ces deux décennies d'histoire de la danse figure au coeur de la programmation 2016 de la Triennale. Il sera passionnant de voir comment les artistes africains se saisissent des questions de la transmission et de l'interprétation, que soulève toute reconstruction d'une pièce, et qui permettent alors d'aiguiser certains concepts contemporains. Que donnera le duo Tichelbé, de Kettly Noël, interprété par une autre danseuse que cette figure de haute trempe de la danse au Mali ? Parmi ces pièces anciennes, on remarque aussi Sans repères, première pièce intégralement féminine, que Béatrice Kombé signait en 2000, avec sa compagnie Tché Tché. Cette chorégraphe ivoirienne nous a quittés prématurément depuis, tout comme le Mozambicain Augusto Cuvilas, et cela ne dit pas rien des réalités de la vie et de la mort sur le continent africain.

Toujours parmi ces pièces anciennes, Salia Sanou et Seydou Boro, aujourd'hui codirecteurs artistiques de la triennale, transmettent Figninto, l'oeil troué, qui marqua, en 1997, leur entrée par la grande porte sur la scène chorégraphique internationale. L'été dernier à Montpellier danse, Salia Sanou créait Des désirs d'horizons (également programmée cette semaine à Ouaga). Cette pièce traite de la question des réfugiés. Mais étrangement, significativement, le chorégraphe burkinabé a voulu lui donner une tonalité très ouverte, presque légère, à contre-pied des clichés médiatiques.

Puisque toute cette présentation tourne autour des symboles, on concluera avec l'entrée en force de la compagnie Total dans le financement de la manifestation. Certaines fortes têtes ne manqueront pas de discuter politiquement de cette nouveauté. Sans s'y engager plus que ça, on notera ce signe de l'affaiblissement des moyens publics dont la France dispose pour entretenir son influence culturelle internationale. Soit une autre nouvelle donne pour bien des artistes africains.

Gérard Mayen

                                
 

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