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Trajectoires : Entretien avec Wanjiru Kamuyu

Le festival Trajectoires consacre un double programme à Wanjiru Kamuyu, désormais artiste associée au CCN de Nantes. C’est l’occasion de prendre des nouvelles de la chorégraphe.

DCH : Vous êtes née à Nairobi, capitale du Kenya et avez suivi des cours de danse très très jeune, dès le jardin d’enfant…

Wanjiru Kamuyu : Des cours de danse classique. Avec Mme Haddad.

DCH : Vous rappelez-vous son prénom ?

Wanjiru Kamuyu : Margaret, je crois. Je ne m’en souviens pas trop parce que nous n’étions pas autorisés à appeler un adulte par son prénom.

DCH : On fait un saut dans le temps : vous migrez par la suite aux États-Unis avec vos parents.

Wanjiru Kamuyu : Nous avons déménagé à Ypsilanti, au Michigan, sur décision de mon père, qui est Kenyan, avec ma mère, Africaine-américaine, quand j’avais 16 ans.

DCH : Encore un saut : vous étudiez à la Temple University, à Philadelphie, avant de passer par l’Alvin Ailey Dance Center.

Wanjiru Kamuyu : Juste avant mon diplôme puis après mon bachelor in business, j’ai suivi, deux étés, seize semaines en tout, la formation intensive du training de l’Alvin Ailey American Dance Theater Center. C’est un endroit de haut standing. Prestigieux non seulement pour les danseurs des États-Unis mais pour tous ceux qui viennent du monde entier parfaire leur formation. Il y a différents programmes représentant tous les styles : hip-hop, danses africaines, modern jazz, technique Graham, ballet classique, yoga… tout est là.

DCH : Ensuite débute votre carrière artistique.

Wanjiru Kamuyu : Après mon master, j’ai commencé ma carrière à New York. À l’Université Temple, j’avais fait des rencontres et je voulais déjà réaliser mes rêves.

DCH : À partir des années 2000, vous travaillez surtout comme interprète dans une liste impressionnante d’œuvres, je pense notamment à celles de Bill T. Jones (le musical pour Broadway FELA !, en 2010 et la tournée qui a suivi), de Molissa Fenley, aux États-Unis et, en France, de Jérôme Savary et Jean-Paul Goude… Quel a été votre apport à la comédie musicale de Jérôme Savary À la recherche de Joséphine (2006) ?

Wanjiru Kamuyu : J’ai fait partie de l’équipe chorégraphique. J’ai mis au point deux numéros, deux tableaux. J’étais une des danseuses principales de ce spectacle et je chantais également.

DCH : Et avec Jean-Paul Goude?

Wanjiru Kamuyu : Là, cela a été un one shot. J’ai travaillé avec lui sur une vidéo qu’il a réalisée pour l’exposition Goudemalion que lui fut consacrée au Musée des Arts décoratifs, en 2011.

DCH : Vous avez exploré plusieurs styles, plusieurs genres très différents, avant de passer à des œuvres personnelles.

Wanjiru Kamuyu : Avant cela, il y a eu une chorégraphe très importante pour moi : Jawole Willa Jo Zollar et sa compagnie, l’Urban Bush Women. C’est là où j’ai signé mon premier grand contrat. Cette compagnie est très estimée, très renommée aux États-Unis. J’y suis restée six ans. La fondation de ma carrière, c’est l’Urban Bush Women.

DCH : Enfin, vous devenez chorégraphe vers 2005…

Wanjiru Kamuyu : J’ai créé le solo Spiral en 2005, alors que je faisais encore partie de la compagnie de Jawole Willa Jo Zollar. Jusqu’en 2020, toutes mes créations [when paradise shatters at its seams then what?, en 2009, At the moment of encounter, en 2015, etc.] ont été autoproduites.

DCH : Parlons maintenant de votre actualité. Vous êtes devenue artiste associée au CCN de Nantes que dirige Ambra Senatore et avez droit à un double programme dans le festival Trajectoires. Le premier, An immigrant's story, est un solo que vous avez donné en 2020 au Musée national de l’histoire de l’immigration de la Porte Dorée. Comment le définiriez-vous ?

Wanjiru Kamuyu : Moi, j’appelle cela danse-théâtre. Il y a de la danse, il y a du texte et il y a le chant. Telle est la structure de cette pièce. En France, à l’époque où je me suis installée, en 2007 – moins maintenant –, ce n’était pas vraiment accepté qu’on puisse pratiquer plusieurs disciplines. J’avais envie, avec ce spectacle sur ma propre immigration et des récits de dix-neuf autres personnes, de montrer qu’on peut être multi talented, comme on dit en anglais et, en français, polyvalent. Et c'est un plaisir et honneur d'être artiste associée au CCN de Nantes. Le soutien est précieux.

 

DCH : C’est la raison pour laquelle vous avez aussi recours à la langue des signes et à l’audiodescription pour traduire le texte dans cette pièce ?

Wanjiru Kamuyu : Oui. J’ai rencontré une audio-descriptrice pendant la création d’An immigrant's story au CDCN de Toulouse/Place de la danse. Il s’agit de Valérie Castan [lire notre entretien], qui est par ailleurs chorégraphe et danseuse. Je ne savais pas que cela existait. Alors que ma mère était prof pour aveugles ! Je me suis rendu compte qu’il était possible de rendre accessible un spectacle aux sourds, comme aux aveugles. J’ai pensé qu’avec du texte, ça faisait sens d’intégrer la langue des signes dans le spectacle. Et, à partir de là, toutes mes pièces vont être accessibles en audiodescription et s'il y a du texte il y aura le LSF..

DCH : Un mot sur Fragmented Shadows…

Wanjiru Kamuyu : Fragmented Shadows découle d’An immigrant's story parce que j’ai commencé à réfléchir sur les histoires un peu trop dures, difficiles de ce solo, de voir le corps plus profondément, de cibler mon regard, de considérer le corps comme une archive, comme un musée, comme un support imprimé d’histoires collectives et individuelles transmises de génération en génération. Et de montrer aussi comment on peut utiliser la danse, le mouvement pour soulager ce corps. Pour le guérir.

DCH : C’est un trio et c’est la pièce que vous répétez en ce moment ?

Wanjiru Kamuyu : Exactement.

 

DCH : Quels sont vos projets et les créations à venir ?

Wanjiru Kamuyu : Je prépare un bal. Pour avoir un moment de joie et de lumière et mettre en valeur les danses de boîtes de nuit et des fêtes en Afrique de l’Est, lesquelles ne sont pas très connues en France. Je veux montrer comment les danses d’aujourd’hui sont influencées par celles d’hier. Comment les danses traditionnelles nourrissent les danses actuelles. Et j’ai aussi un projet avec l’artiste plasticien Henrik Langsdorf autour de la Conférence de Berlin de 1884-85 qui avait pour objet la division par l’Europe de l’Afrique.

Propos recueillis par Nicolas Villodre le 9 janvier 2025.

À voir au Festival Trajectoires les 17 et 25 janvier. Fragmented Shadows, An Immigrant's Story

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