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Tours d’Horizons : Entretien avec Marco Berrettini

Nous avons rencontré Marco Berrettini lors du Festival Tours d’Horizons où il présentait I Feel 2 (lire notre critique). L’occasion de faire le point avec cet artiste à part…

Danser Canal Historique : Comment on passe de No Paraderan, pièce phare et controversée qui date de 20014, à I Feek2, environ dix ans plus tard ?

Marco Berrettini : Soit on fait une pause de dix ans, comme Kubrick, soit on est obligé de payer son loyer.

Après No Paraderan ou Multi(s)me je me suis dit, je vais aller aider ma famille dans son restaurant en Italie ! Le milieu de la danse vous oublie vite. Après, l’envie de faire des pièces c’est une partie assez saine de l’hypocrisie. On s’auto-persuade ou auto-hypnotise – je ne sais pas – que c’est vraiment important. Dans un premier temps, on sait que l’on a dû déjà traiter ce que l’on est en train de créer, ensuite on oublie. C’est ainsi que je peux revenir vers des éléments de la danse que j’avais oblitérés dans I Feel2.

DCH : Par exemple ?

Marco Berrettini : I Feel 2 correspond au renouveau d’un travail sur les influences que j’ai pu traverser quand j’étais jeune. Notamment, tout ce qui venait des États-Unis. La comédie musicale, les professeurs américains. J’ai grandi en Allemagne, mais dans cette période qui portait encore les stigmates de la deuxième Guerre Mondiale. Donc les professeurs, les chorégraphes étaient tous américains. J’ai abordé plus tard Pina Bausch et le Tanztheater allemand. Du coup, la pièce mélange le geste et la musique d’une façon que j’avais tout à fait laissée de côté. On peut y retrouver une influence de la musique répétitive américaine. Donc cette approche s’est insinuée dans mon esprit en le mixant avec ma façon de travailler les thèmes au plus proche de la danse. I Feel 2 reste dans ce sillon en développant un type de travail qui met au jour des thématiques concrètes tout en gardant une approche abstraite du mouvement. En peinture, ce serait ce que l’on appelle expressionnisme abstrait, genre Jackson Pollock. Depuis quelques années, j’avais envie de travailler sur l’histoire, le répertoire. Une sorte de Musée de la danse, sorte de catalogue historique de là où la danse en est, dans l’attente d’un futur nouveau style. J’ai l’impression que la danse est un peu moins à part qu’autrefois. Il y a 30 ans, c’était un peu étrange. Aujourd’hui, on voit de la danse contemporaine partout. Dans n’importe quelle pub. Même le Tanztheater de Wuppertal est présent dans une pub pour Prada… !

DCH : Votre pièce comporte-t-elle des éléments autobiographiques ? Je pense par exemple à votre passé de champion de danse disco…

Marco Berrettini : Je n’aurais jamais pu imaginer une chorégraphie à six temps si je n’avais pas commencé par la danse disco. C’est un rythme à la fois connecté et déconnecté puisque la musique, elle, est sur quatre temps. En fait, c’est deux fois trois temps de valse. Pour moi, ce n’est pas compliqué car la première chose que l’on apprend en disco ou en jazz c’est compter. Quand j’ai créé Sorry do the tour, c’était vraiment sur le disco. J’avais une troupe formidable. Mais dès qu’il était question d’ajouter plus de pas, ils ne savaient pas compter sur le disco. J’avais inclus quatre ou cinq morceaux disco mais le traitement chorégraphique était très différent.

DCH : Vous avez un parcours plutôt étonnant, passer de la disco à Hans Züllig et Pina Bausch c’est peu banal…

Marco Berrettini : Je suis l’un des derniers de ma génération à être passé par toutes sortes d’écoles de danse. J’ai tout fait. De du disco, du flamenco, du classique, une saison chez Pina… Le disco est un élément important, car je ne serais sans doute pas devenu chorégraphe si je n’avais pas commencé par là. Dès le départ, j’ai éprouvé le plaisir de chorégraphier des morceaux de danse.

DCH : Que signifie cette phrase étrange relevée dans votre C.V. : « Lʼactivité de Marco Berrettini sʼétend de la Performance dans un Musée jusquʼà la collaboration avec des réalisateurs de films, de lʼinstallation avec des plasticiens au dîner avec des gens célèbres qui ne le connaissent pas. » ?

Marco Berrettini : On m’a demandé d’écrire un CV. Ça dépend comment on appréhende ce que l’on fait, et je me suis dit que j’allais le réécrire ainsi. C’est vrai que je me suis retrouvé dans une galerie d’art, ou à dîner avec des gens pour avoir un contrat. Cette histoire de recherche d’argent côtoie la prostitution.  C’est la vérité du métier. Un jour, on m’a même dit,  « il y a une duchesse qui vit au bor du Lac de Genève… tu devrais aller la voir ». Je me demande si je ne vais pas contre-attaquer. Prendre ma revanche. Ma compagnie n’a pas pu survivre. À l’époque, j’avais refusé de prendre un CCN pour ne pas avoir d’obligations de cette sorte. Actuellement, seuls les grands ballets peuvent salarier des équipes de plus de dix personnes. Parfois, j’ai envie de réunir des gens indépendants pour travailler avec de grands groupes car je viens de cette histoire. Mais le marché est tellement saturé qu’il vaut mieux rester chez soi avec un petit salaire et faire ce que l’on a envie…

Les programmateurs préfèrent des pièces « éjectables » que se tromper sur les grandes formes. À Impulstanz, à Vienne, ils ont dû subir une coupe de plusieurs millions d’euros. Du coup, ils ne programment que des compagnies autrichiennes cette année et ont dû annuler dix-sept productions internationales…

DCH : La crise touche-t-elle durement les compagnies – y compris en Suisse ?

Marco Berrettini : On voit surgir des idées qui n’existaient pas auparavant comme le « retour sur investissement ».  Et ce n’est peut-être que le début. Si le TAFTA et TTIP passent, ça va être terrible. On va en mesurer les effets au niveau de la danse. Ne devra-t-elle pas changer de fonction sociale ? Peut-être que l’on deviendra une sorte de thérapeutique, au même titre que le yoga… Si des compagnies comme celle de Pina font des clips avec Prada, tout est envisageable… quand on pense que ses premières pièces visaient toute la génération nazi encore en Allemagne…

L’avant-garde maintenant loge sur Internet. On la retrouve chez les hackers davantage que dans une énième compagnie de danse contemporaine qui se produit dans des théâtres subventionnés. Pour les années qui me restent, je travaille sur ce que je crois et j’attends que quelqu’un me finance.

DCH : Des projets, malgré tout ?

Marco Berrettini : J’ai un projet avec l’ADC et le théâtre de Vidy : I Feel 3. C’est une sorte de recherche sur un lien possible entre les gestes et le contexte politique. Nous devrions être six. Trois couples. Ça porte sur le futur. Qu’aurait-on à proposer pour les années à venir. Il est également question de remonter No Paraderan… mais ce n’est pas sûr. Et je me demande quelle signification la pièce prendrait aujourd’hui. Qu’est-ce que ça voudrait dire de remettre ces gens sur scène ? Un peu comme le film La Grande Bellezza qui ressuscite la grande bourgeoisie romaine… pour la faire s’éteindre à nouveau.

Propos recueillis par Agnès Izrine

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