« Sunny » d’Emanuel Gat, transformé par l’espace scénique !
Ce n’était pas un nouveau spectacle, et pourtant ! A la Cité de la Musique, Sunny d’Emanuel Gat s’est trouvé comme dans une arène. Avec un résultat étonnant.
La Philharmonie de Paris et le Théâtre de la Ville ont proposé à Emmanuel Gat de présenter Sunny, créé à Montpellier Danse en 2016 [lire notre critique], dans la salle quadri-frontale de la Cité de la Musique. Une belle idée, mais aussi un challenge particulier. On ne donne, et surtout, on ne reçoit pas une œuvre chorégraphique de la même façon, qu’on se trouve face à la scène ou que les danseurs sont entourés du public, comme dans une arène.
Vu du plateau, il faut alors trouver un équilibre, aussi précaire soit-il, dans l’adresse aux quatre côtés de la salle. Pour le public, en situation bi-, tri- ou quadri-frontale, il n’est plus possible de construire un rapport intime avec le spectacle.
Plus question de faire abstraction des autres spectateurs et d’entrer dans une relation personnelle avec ceux qui occupent le plateau. Les autres spectateurs sont là, en face, sur le côté. Pas anonymes comme dans un ring de boxe, un stade ou une arène, mais reconnaissables. On suit le spectacle, ensemble. On le partage, activement: Pour Sunny, on se trouva bien à la Cité de la Musique.
Changement d’ambiance
Ca change quoi? Sunny illustre parfaitement la différence. Où un musicien-chanteur en maître de cérémonie et un chamane en costume fantaisiste, tel un cacatoès blanc surdimensionné, envoûtent une assemblée où l’on se séduit ou se prélasse, où on répète comme pour une cérémonie ou une danse à partager. Entre fête et entraînement, un code secret se propage et infuse.
En rapport frontal, et particulièrement à la création sous le ciel étoilé de Montpellier, le public assistait à un rite un brin mystérieux qui n’appartenait qu’à ses adeptes. Ils étaient dans leur espace intime et le public avait le droit, précieux et inattendu, d’y assister.
L’arène, un espace public
A la Cité de la Musique, danseurs et spectateurs partagèrent un espace commun, entièrement public, et même marqué, à un moment, par un carré rouge au sol, entourant le plateau et auquel répondirent des éclairages de fond du même rouge, illuminant les alcôves dans le dos des spectateurs, au niveau des corbeilles.
Le sens même des actions chorégraphiques s’en trouve profondément modifié. Ce n’est pas la même chose que de s’aligner côté cour en s’adressant à une instance invisible ou de se trouver face à face avec les spectateurs, de se trouver côté cour pour une partie de la salle, et côté jardin pour le public d’en face.
Un autre rapport danse-musique
Au résultat, la structure même de la pièce s’est trouvée transformée, par un important travail d’adaptation scénographique et chorégraphique, jusqu’à modifier en profondeur le rapport danse-musique. D’autant plus que Sunny est ici un véritable concert chorégraphique où Awir Leon salue le public et annonce, comme dans une soirée musicale: « Le prochain morceaux est… »
Le lien très direct entre les interprètes et leur public remplaça une grande partie du mystère initial, si bien qu’à la fin s’offre un espace permettant, en théorie, au public de rejoindre la compagnie pour danser ensemble. « Nous y avons songé », confie Gat qui a pleinement réussi la mue de Sunny.
Aussi Leon quitta plus encore le rôle du musicien qui accompagne la danse et ne resta plus niché dans un coin du plateau. Au bout d’une diagonale traversante, se trouva une réplique exacte de ses instruments. Leon contourna le plateau pour changer de côté, ou bien il traversa le plateau, saluant les danseurs, leur faisant des accolades et se mettant même à jouer de la guitare en leur milieu, en vrai maître de cérémonie. Et clairement, le fait de se trouver à la Cité de la Musique n’y fut pas pour rien.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 25 mars 2018, Paris, Cité de la Musique. Programmation Théâtre de la Ville et Philharmonie de Paris.
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