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« Soul Chain » de Sharon Eyal par la compagnie TanzMainz à Vaison Danses

Une pièce lyrique et techno magnifie la virtuosité technique des danseurs du TanzMainz (ou Ballet de Mayence).

Après la présentation rituelle du maire de Vaison, Jean-François Périlhou et du directeur artistique du festival, Pierre-François Heuclin et une première partie circassienne du quintette de Gautier Fayolle, Unisphere, clignant de l’œil aux J.O., nous avons pu découvrir la pièce de Sharon Eyal co-chorégraphiée par Gai Behar, Soul Chain (2019).

Il fallait bien seize danseurs pour occuper le vaste plateau vaisonnais et affronter les milliers de regards provenant du parterre et des gradins de l’amphithéâtre bimillénaire. La troupe de Honne Dohrmann est formée d’hommes et femmes, pour l’occasion uniformément vêtus d’un justaucorps couleur chair designé par Rebecca Hytting, masquant l’essentiel et dévoilant avec malice les poitrines pubescentes ou plus velues des interprètes mâles. Ce côté guerrier, on le retrouve dans la discipline de fer, l’unisson groupal, le gimmick ironique du salut militaire repris par l’affiche du spectacle et du programme. Les entrées et sorties se font sans tambour ni trompette, au son de la musique électro d’Ori Lichtik ; les lignes chorales bougent en tous sens ; les groupements et entrecroisements rappellent ceux, complexes, de Busby Berkeley, qui étaient d’abord destinés aux défilés des soldats américains de la guerre de 14, ensuite aux girls de Ziegfeld, enfin à celles des musicals hollywoodiens.

Sauf qu’ici les girls le partagent avec les boys. Et que l’assujettissement consenti par la troupe n’est pas synonyme d’aliénation, de fordisme, taylorisme ou stakhanovisme mais une des conditions de la création chorégraphique, de la vocation ou du métier d’artiste-interprète. Il faut dire que, par-dessus le marché, les auteurs ajoutent à la pièce la contrainte de la locomotion par élévation, une heure durant, sur les demi-pointes – Sharon Eyal et Gai Behar ne vont pas jusqu’au ballet sur pointes, comme celui, un tantinet sadique, de Cecilia Bengolea et François Chaignaud, Devoted (2015). On demeure, somme toute, plus près du contemporain que du néoclassique, la danse étant celle de va-nu-pieds tout juste protégés par des chaussettes hautes et robustes de type Falke. Quelques-unes et un obtiendront en deuxième partie de programme un bon de sortie du lot, un droit de solo. Au caractère apollonien de la pièce, à son côté lisse, sans bavure, qui produit à coup sûr un effet de fascination, se heurtent ces variations mettant en valeur l’un(e) ou l’autre des individualités. Ces danses dans la danse, brèves ou prolongées, changent les interprètes en chorégraphes.

En peu d’années, Sharon Eyal a imposé son style de danse contemporaine, une danse-danse décomplexée, ne se la racontant pas, sans prétexte extérieur, abstraite ou presque. Ce presque étant ce qui meut et émeut chacun, que ce soit sur scène ou dans la salle, à huis clos ou, en l’occurrence, à ciel ouvert. Cet obscur objet qu’éclaire la lumière clignotante d’Alon Cohen. Cette « façon dont l’être intérieur essaie de se frayer un chemin vers l’extérieur », pour citer la note d’intention de la chorégraphe publiée dans la feuille de salle. D’où ces moments expressionnistes ou, du moins, clairs-obscurs ; ces velléités théâtrales avec les regards insistants ; le recours à la farandole bauschienne ; la réminiscence d’une milonga orchestrée et chantée de façon traditionnelle, qui donne du vague à l’âme, rompt avec le ballet techno mais resserre les maillons de la chaîne. Une séquence extrêmement lyrique.

Nicolas Villodre

Vu le 13 juillet 2024 au Théâtre antique de Vaison-la-Romaine

 

 

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