Soirée d’ouverture de Bien Fait !
Le festival plus expérimental qu'organise Micadanses ouvre avec un air de petite bande : Olivier Renouf puis Erika Zueneli et Laura Simi. Ces deux-là, Italiennes, se livrant à un petit jeu d'enfants pas sages qui raconte la magie de se retrouver
Franchement, voir deux italiennes – florentines pour être exact– choisir de s'appuyer sur une musique espagnole voire, certaines sources sud-américaines, pour évoquer leurs souvenirs d'enfance commune, ou disons leur fond culturel partagé (elles sont nées l'une et l'autre en 1964) témoigne d'une assez piètre opinion des connaissances géographiques des français ; lesquels Laura Simi autant qu'Erika Zueneli connaissent cependant fort bien puisque ces deux danseuses et chorégraphes italiennes ont fait l'essentiel de leur carrière en France, ainsi qu’en Belgique pour être juste. Mais quand même ! L'indice en dit beaucoup.
Il ne faut guère tenir Saraband pour l'exploration d'« une forme chorégraphique et musicale – cet ensemble de danses anciennes, de rythmes et de pas codifiés » comme il est annoncé, mais comme un autre voyage vers des imaginaires plus intimes tout en gardant cette notion en tête quand elles entrent toutes deux d'un pas décidé.
Chacune de leur côté, se campent sur une chaise, face à face. Pour ceux qui connaissent le Incontri (2010), pièce de référence d'Erika Zueneli, la figure scénique aura des allures de déjà vu. Mais, cette fois, pas de table entre les deux femmes. Elles sortent des bâtons de maquillages et se griment en miroir. Certes, les costumes renvoient bien à un passé vestimentaire indéfini, avec manière de vertugadin, et d'amples jupes sur jupons, mais la référence est largement démentie par les sweats à capuche qui complètent la tenue…
Assises sur de banales chaises pliantes en métal, les voilà qui les tirent en remontant, attachées à une longe, les replient, les font tournoyer en heurtant et en frappant le sol avec fracas. Le mouvement va se développer en simultané rythmique, avec de très fréquent recours à l'unisson, des petits pas trottinés de béguines inventées, des arrêts drolatiques et de vifs moments de complicité. Un jeu de grands enfants qui recourt au détour dans le passé pour inventer une histoire comme un « si on était des espagnoles du grand siècle » (un peu perdues en Flandres mais l'Histoire justifie le crochet géographique) ce qui explique le climat très « à la Mossoux-Bonté » de certains moments.
Erika Zueneli a beaucoup collaboré avec les ci-devant, et il ne faut pas s'étonner d'en retrouver ici quelques échos. Certes, les chorégraphes qui cosignent une pièce n'apprécient guère que l'observateur s'efforce d'en départir l'origine entre les deux créateurs, mais la distance paraît cependant beaucoup plus grande entre l'univers assez noir et technoïde propre à Silenda (la compagnie de Laura Simi et Damiano Foà) qu’avec celui d'Erika Zueneli qui procède volontiers de telle mise « au clair » de moments d'intimité. Et ici, ce jeu de petites filles devenues grandes, s'essayant à des facéties de béguinage, soulevant leurs jupes mais ne montrant rien de plus que le jupons, appartient assez à cet univers particulier d'une chorégraphe très portée vers l'auscultation de l'intimité ; en cela, ce Saraband, serait plutôt son fait.
Mais sans aucun doute un tel aveu ne pouvait se faire qu'à deux et dès lors, cette double confession tient grâce à la délicieuse et malicieuse complicité des deux italiennes jouant aux flamandes espagnoles… Le détour historique par la sarabande, citée ici dans cette introduction tragique à la Music for the Funeral of Queen Mary, par ce décalage même avec la forme originelle (la méfiance de l'Eglise espagnole à l'encontre de cette musique tenait à son débridé et même sa lascivité) très loin de l'usage de Purcell, montre bien que cette Saraband est un tour pour parler de la joie d'inventer en dansant ensemble.
Précédait Saraband une avant-première de S.Perché d'Olivier Renouf : couplage logique des deux pièces puisque cette dernière avait pour collaboratrice artistique l'une des chorégraphes de la première. Et Olivier Renouf, qui vit avec Erika Zuenelli depuis 1994, même s'il suit un chemin extrêmement personnel, accorde qu'il « n'y a pas de frontière entre la vie et le travail. Terriblement pas de frontière »[1]… Donc !
Un rapide travail de documentation sur Olivier Renouf suffit pour s'en convaincre, ce chorégraphe possède une identité artistique aussi forte que singulière, chacune de ses créations se reconnaissant presque du premier regard. Olivier Renouf est l'un des seuls chorégraphes réellement plasticien en ce que sa démarche relève d'une pratique que l'on retrouve dans un mouvement artistique défini, en l'occurrence, l'Arte Povera.
S. Perché © Laurent Paillier (avant-première)
Et contrairement à quelques-uns qui s'y réfèrent à mauvais escient, Olivier Renouf en relève parfaitement, y compris pour des spectacles jeune public dont le chorégraphe est un grand praticien. Ce S.Perché, inspiré du Baron Perché d'Italo Calvino, se développe dans une armature de branches tenues entre elles par des jointures en scotch blanc, squelette mobile, tipi, diagramme incarné… Un objet scénique parfaitement fascinant mais qui prend tellement de place dans la pièce qu'il en rend la suite – lorsqu'il n'en est plus le centre – superfétatoire. Mais il s'agissait d'une avant-première, étape de travail qui donne envie d'en voir la version définitive et comment le chorégraphe va se dépêtrer de cette présence si forte qu'il a lui-même générée ! Rendez-vous à la création : en janvier 2025 !
Philippe Verrièle
Vu le 11 septembre à Micadanses dans le cadre du festival Bien Fait.
[1]Erika Zueneli, L'Intimité comme arène, Ed Riveneuve, coll. L'Univers d'un chorégraphe, Paris 2020, p147
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