« So you can feel » de Pieter Ampe
Sublimer, poétiser, érotiser un corps, un corps masculin sans plus, ni moins, ni travers. Mais le corps de Pieter Ampe a ici bien des ailleurs…
Le Belge à la barbe ébouriffée arrive sur scène dans son enveloppe charnelle si simple, humaine et banale, loin de l’idéal athlétique promu au ballet. Ni chétif ni musclé, ni grand ni petit, ni gros ni maigre, Ampe n’est ni héroïque ni éthérique. Il est l’un des nôtres qui nous ouvre la porte de nos propres rêves. Humour belge inclus…
Tout commence par une prise de contact très intense avec quelques spectateurs assis au premier rang, représentants de l’ensemble du public qui sera éclairé jusqu’à la fin. Pas de quatrième mur ici !
So you can feel se construit dans le lien direct avec la salle, dans un flirt d’abord concret, puis prolongé grâce à l’autodérision d’Ampe. Pete, toujours accompagné de son frère qui a savamment choisi les musiques, part à la recherche de sensations fortes, dionysiaques et libres. Perruque hippie, pantalons en cuir ou filet intégral, il enfile symboles et fétiches d’une nightlife débridée.
Phantasmes sensuels, rêves d’auto-séduction, transgressions… Ampe monte même dans les gradins. Girouette érotique, il s’accroche à une barre et tournoie au-dessus des spectateurs dans une figure de pole dance exécutée à l’horizontale.
On ne s’étonne guère d’apprendre que l’inspiration lui est venue d’un séjour à New York, comme chez Bengolea/Chaignaud pour leur altered Natives’ Say Yes To Another Excess ⎯ TWERK. On songe même au Voguing…
…pour basculer vers une sorte de butô ! La peinture blanche coule, d’abord dans son slip pour tomber par terre. Ensuite, le corps entièrement enduit, la question du genre est dépassée au profit de l’animalité et du neutre. Ce qui pourrait n’être qu’un tableau comme les autres occupe la moitié du spectacle et c’est sans doute trop.
Mais, comme nous le savons, « Je est un autre », et cette altérité peut venir de loin. À la fin, Nina Simone chante, en toute beauté: Feelings, nothing more than feelings… Et on se souvient de Vader de Peeping Tom, où le patriarche déchu, dans son fauteuil roulant, s’accompagne au piano en chantant ce même hymne à l’amour.
Dans son premier solo, Ampe renoue avec la profondeur et l’humanité de ses duos, à commencer par celui avec son propre frère Jakob (La grande tentative de réconciliation de Jake et Pete concernant leurs conflits du passé), en caressant un humour désarmant, car reposant sur une sincérité et un don de soi rares dans le monde du spectacle.
Thomas Hahn
Théâtre de la Bastille Du 24 au 28 novembre 2015
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