« Simul, Histoire d’Hommes » par Redha
Pour présenter son dernier opus, Redha Benteifour parle de « pièce d’hommes », de « bal pour personnes en mal de vivre » et de « théâtre physique ». On ne saurait mieux dire, tant il est rare de voir rassemblées sur scène tant de virilité(s) aussi exacerbées que désorientées, en quête de sens et de repères.
Le premier tableau s’ouvre sur la vision de huit corps masculins en tee-shirt et pantalons, surgissant de l’obscurité au son amplifié des battements et des halètements d’un cœur. Humains échoués sur le bas-côté de la vie, ils vont enchaîner une heure quinze durant des scènes d’ensemble, des duos et des solos empruntant au langage de la break-dance, de la danse jazz ou à des inspirations plus contemporaines. Tout à tour exclus ou intégrés, singuliers ou tentés par le collectif, s’affrontant ou s’épaulant, ils évoluent dans un décor estampillé brut de « décoffrage », murs écaillés, sol nu et ambiance sonore passant des bruits urbains au raï ou à la pop. Leur gestuelle énergique fait mouche, sans toutefois se renouveler suffisamment pour retenir à elle seule l’attention du spectateur.
Ce qui convainc ici, plus que la danse elle-même, c’est l’aptitude de Redha à créer une atmosphère puissante, sombre miroir d’un monde brutal où la vie se résume à un combat sans merci à peine traversé de quelques moments de grâce. Au nombre de ces derniers, il faut compter les très beaux solos de deux danseurs, l’un Geoffroy Ploquin, à la forte présence physique et vocale, l’autre Sébastien Thill ex danseur classique passé par l’Opéra de Paris, dont les pieds pointes chaussés de baskets évoquent irrésistiblement l’américain Lil Buck.
Redha excelle à réunir ainsi des talents et des styles différents, lui qui est passé par la comédie musicale (« Roméo et Juliette »), le grand spectacle événementiel (« Coupe du Monde 1998 »), le show biz (tournées d’Elton John) ou la télé (« Champs-Elysées »). Avec cette pièce forte, engagée, il pointe aussi bien la violence du monde contemporain que les clichés accrochés à la masculinité, même s’il lui arrive de céder aux mêmes effets de testostérone qu’il entend dénoncer. On peut toutefois louer sa sincérité, et se laisser embarquer sans déplaisir dans cette histoire d’hommes portée par la rage de vivre.
Isabelle Calabre
Vu au Théâtre du gymnase
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