« She-mâle » de Gilles Verièpe
Une chorégraphie en mode masculin, interprétée par des femmes, ça donne quoi ? Autant d’espoir que de désir d’aller plus loin…
Gilles Verièpe a raison. La femme ne veut pas être docile, évanescente ou éthérique. Ni sur scène, ni dans la vie. Cette chorégraphie, pensée par un homme et pour des hommes mais réalisée par sept danseuses contemporaines, déjoue les stéréotypes pour créer un subtil mélange des attitudes.
Féminin, masculin? Que nenni! Ni ni-ni, ni mimi. Parce qu’on est d’abord soi-même. Aussi, les interprètes s’affirment au début dans l’attitude défiante d’une bande de filles, parfois immobiles, parfois sensuelles, debout ou dans des roulades, fesses contre fesses, comme en impro contact. Les stéréotypes des deux sexes sont finalement beaucoup plus compatibles qu’on ne le croyait…
Aucune ne ressemble à une autre, et petit à petit c’est la plus forte d’entre elles, Yulia Zhabina, qui s’affirme en tant que cheffe, par quelques gestes plutôt rudes. Elle sait aussi se battre seule contre toutes, comme dans un film de Kung-Fu. Son antithèse est Mylène Lanugnière, la plus timide, ou Rindra Rasoaveloson, apparemment fragile.
Toujours ensembles, jamais obligées à renier leur féminité ou de singer les machos hurlants. Mais aucune, sauf Zhabina, ne va finalement se révéler plus que ça. Le collectif prime, les présences se conjuguent et l’énergie de l’ensemble pourrait parfois nous embarquer vers un état de transe. Les individualités n’apparaissent plus, ou bien en creux. Se crée une sorte de bruit de fond visuel, ce qui peut libérer le spectateur autant que le distraire. Les costumes, du blouson de cuir à la maille presque transparente, le noir étant de mise sans la moindre exception, distinguent chacune sans percer la suprématie de leur respiration collective. Et au bout du compte, tout est affaire de respiration, autant qu’on a parfois du mal à distinguer un fou rire d’une violente crise de sanglots.
Cette pièce pourrait bien prétendre au livre Guinness des records mondiaux dans la catégorie des spectacles avec le plus grand nombre de fausses fins. Encore et encore, un souffle sonore éteint les lumières pour un noir subit, rapidement levé pour que la danse puisse rependre, plus ou moins à l’endroit où elle a été retirée à noter regard. Et plus le spectacle avance, plus la cadence de ces black-out s’intensifie. Fallait-il alors déjouer cette tromperie pour finir sur une ambiance radicalement différente, une sorte de rave party dans le noir, transe collective dansée en cercle? Rajout inutile qui enlève une part de sa force à une pièce qui en manquait déjà.
She-mâle rejoint la longue liste de créations qui tentent valeureusement de se frotter à ce monde, qui partent de concepts qui sont au cœur des débats actuels mais qui peinent à trouver un langage chorégraphique, gestuel et dramaturgique à la hauteur de l’enjeu. Tout ça ne manque ni de sincérité ni de pertinence dans l’interrogation de départ. Mais le résultat peine à convaincre. Reste que l’attention ne retombe pas, qu’une idée de suspense flotte sur ce spectacle du début à la fin. Juste une idée…
Imaginons donc un instant qu’une telle réflexion sur la féminité soit portée par d’autres interprètes, et pourquoi pas par celles d’une génération, voire d’une sélection qui n’a plus besoin de tergiverser sur la force de frappe de chacune. Oui, imaginons des she-femmes d’une trempe de Germaine Acogny, Régine Chopinot, Germana Civera, Régine Chopinot, Brigitte Lefèvre, Louise Lecavalier et Carolyn Carlson (en arrêtant à sept puisque le compte est bon), comme elles s’empareraient, en tant que bande, d’une telle proposition chorégraphique. Chacune serait capable de jouer, avec une finesse absolue, sur les subtilités sexuées, ce qui suffirait en soi à maintenir un suspense scénique à peine soutenable. She-mâle réussit à nous en donner une idée et donc un désir, et c’est déjà ça. Mais pas plus.
Thomas Hahn
Biennale du Val de Marne, Théâtre de Rungis, le 24 mars 2015
She-Mâle
Chorégraphie Gilles Verièpe
Assistant à la création Sylvain Rembert
Interprètes Yulia Zhabina Bi-Jia Yang Joanna Beulin
Musique Julien Carillo
Lumières Paul Zandbelt
Costumes Arielle Chambo
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