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Sandrina Martins : Agir et faire réfléchir

Le Festival Everybody, imaginé par Sandrina Martins directrice générale du Carreau du Temple à Paris , célèbre toujours plus la diversité des corps et l’inclusivité dans cette quatrième édition. Nous l’avons interrogée…

Danser Canal Historique : Qu’est-ce qui vous a poussée à créer ce festival ?

Sandrina Martins : Le Carreau du Temple a une activité multiple, comprenant la programmation de spectacles, de rencontres, le cinéma et les associations qui donnent des cours de pratiques corporelles, avec toute la dimension amateur, ainsi que les locations d’espaces. Il m’est apparu important de donner un coup de projecteur sur ce qui fonde la tonalité de ce lieu, qui soit un vrai focus sur la danse et le corps, ce qui est notre fil conducteur.

Nous programmons donc de la danse, mais aussi de la performance, parfois du théâtre, et des installations d’art contemporain. Le festival Everybody est une façon de partager les valeurs du Carreau du Temple, qui est un projet engagé, politique, ce qui me paraît d’autant plus nécessaire dans les temps que nous traversons aujourd’hui.

DCH : Everybody signifie « tous les corps », et « tout le monde ». Comment définiriez-vous ce festival ?

Sandrina Martins : C’est à la fois la diversité des corps et le corps social, qui est d’un côté un ensemble universaliste et un désir de faire corps, et de l’autre, des individualités, des identités qui sont différentes. Je suis convaincue que l’on peut à la fois parler d’identité et mettre à l’honneur ces différences tout en pensant une société universaliste non dans un sens dogmatique, mais en créant du commun. Les évolutions sociétales sont assez paradoxales, avec une possibilité de revendication identitaire, d’expression des différences qui sont plus fortes, mais avec un contrecoup qui tend à plus d’uniformisation. Quand Trump dit qu’il n’y a pour lui que deux sexes, il annule toute la réflexion sur le genre. Nous sommes dans cette tension, entre certains milieux plus ouverts – comme le milieu culturel où il existe cet espace d’expression, et la marche du monde qui semble aller dans le sens inverse. Il est vrai que nous disposons d’une liberté, d’autant que les artistes parlent à partir de l’intime, de ce qui les travaille ou les terrorise, mais ces sujets concernent également les milieux féministes, le champ social et le monde du travail. Car c’est bien souvent là que se produisent les discriminations, sexistes, racistes, homophobes, transphobes…

DCH : Les personnes qui viennent à Everybody n’appartiennent-elles pas déjà à ce milieu ? Comment en toucher d’autres ?

Sandrina Martins : Comment pouvons-nous agir à notre échelle ? Nous sommes de petits îlots, nous ne pouvons dire que nous faisons de la résistance, ce serait trop prétentieux. Ce sont des petites pierres, mais il faut essayer à l’endroit où nous sommes d’agir. Notre manière est d’inviter des artistes qui font réfléchir, même si nous avons bien conscience que les publics qui fréquentent les lieux culturels sont généralement déjà avertis et savent ce qu’ils vont voir. Mais, du fait que notre espace est ouvert à toutes sortes de pratiques corporelles, le Pilates, le yoga, les cours de danse ou de judo, qui attirent des publics différents, j’espère toujours que soudain, une personne qui traverse la Halle, voit des œuvres, des expositions, un spectacle, perçoive une énergie, une thématique qui le captive. Et quand nous programmons le Cabaret La Sirène à barbe qui vient de Dieppe – notre « chouchou » de cette édition – nous savons que nous allons recevoir d’autres types de publics, et le même soir, il y a le solo de Boglárka Börcsök et Andreas Bolm sur un projet très sensible, sur l’âge, le temps qui passe, juste avant le cabaret. Peut-être certains verront les deux, c’est la magie du festival.

DCH : Votre festival dure peu de temps. Est-ce une volonté de votre part ?

Sandrina Martins : J’aime les festivals qui ne durent pas très longtemps mais où l’on peut voir de nombreux spectacles très différents le même jour. Et je tiens à présenter les projets au moins deux fois, car je trouve très difficile d’inviter des artistes pour une représentation unique. Pour des raisons de disponibilités dans la halle, nous n’avons que cinq jours. Donc la programmation c’est le week-end, et nous arrivons à ajouter quelques petites pépites, comme Pour sortir au jour d’Olivier Dubois, c’est une petite session de rattrapage pour ceux qui ne l’auraient pas vu auparavant, mais juste sur une date. Nous misons aussi sur l’accessibilité, et notre volonté d’accueillir tous les publics. Nos conférences sont traduites en langue des signes, nous allons aussi tout traduire en vélotypie, une technique de retranscription en temps réel qui permet de convertir la parole en texte à l’aide d’un clavier spécifique, mais nous avons aussi acheté un système pour rassembler deux sièges qui permet aux personnes corpulentes de pouvoir venir au Carreau sans être embarrassées…

DCH : Comment choisissez-vous les artistes ?

Sandrina Martins : En voyant beaucoup de spectacles ! Ce sont aussi des rencontres au long cours. Notre thématique est toujours la même, et porte sur la question des stéréotypes corporels. Donc Je suis aux aguets et j’invite ceux qui interrogent ces thèmes, que ce soit sur l’âge, le genre, le handicap, la diversité anatomique… Et à un moment donné les projets s’articulent pour créer de la cohérence. J’ajouterais que Everybody n’est pas un festival « tendance » qui ne privilégierait que les créations. C’est très important pour moi. À la fois de montrer des chorégraphes attendus, mais aussi des formes qui font moins l’actualité. Nous pouvons proposer des spectacles qui ont été créés il y a des années, comme Olivier Dubois, Marie-Jo Faggianelli, ou Boglárka Börcsök mais qui ont finalement été très peu vus. Les présenter au cœur de Paris leur donne une chance supplémentaire.

Mais il est important aussi de faire venir Cover de Myriam Soulanges, Danser ensemble d’Alice Davazoglou, que nous avons coproduit dès qu’elle nous a présenté le projet, et puis le Cabaret de la Sirène à barbe. Ce cabaret Queer et qui a fait ce spectacle à la suite d’une agression homophobe dans une ville qui, après avoir été communiste pendant 30 ans, vient de passer RN aux dernières législatives. Donc nous faisons venir Dieppe à Paris, et j’aime bien cette inversion de la Décentralisation.

DCH : Vous dites accompagner les artistes à long terme. Comment ?

Sandrina Martins : Nous accueillons une cinquantaine de compagnies par an en résidence. Nous avons deux studios, le Plume, qui est petit, et le Flore qui est consacré à la danse que nous transformons en salle de spectacle pour le festival mais qui est occupé par le Conservatoire à rayonnement régional l’après-midi. Nous organisons régulièrement des sorties de résidence à destination des professionnels que nous prévenons à travers une Infolettre. Ça nous permet de coproduire, comme pour Alice Davazoglou ou Cherish Menzo qui est une formidable artiste néerlandaise. 

Nous avons désormais un contrat d’objectif de cinq ans avec la Ville de Paris donc, quoi qu’il arrive Le Carreau se consacrera à la danse les cinq prochaines années. C’est tout de même une très bonne nouvelle ! Et j’ai une équipe absolument formidable ce qui est capital !

Propos recueillis par Agnès Izrine le 23 janvier 2025

Festival Everybody du 14 au 18 février 2025

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