« Revue macabre » d'Aurélien Richard
La mort nous appelle aux limites. Une pièce néo-expressionniste cultive ce glissement permanent.
Il y a des choses qui ne s'inventent pas. Par exemple avoir apprécié, dans Revue macabre, nouvelle pièce d'Aurélien Richard, une belle maîtrise d'une qualité toute liminale – entendons : qui se joue juste sur le bord. Puis d'en avoir touché deux mots à ce chorégraphe. Et de l'entendre nous préciser alors que, justement, le nom de sa compagnie est Liminal ; ce à quoi on n'avait prêté aucune attention jusque là.
Liminale, la Revue macabre l'est en se jouant constamment d'une proximité avec le thème de la mort, mais pour toujours s'en échapper vers les dimensions purement philosophiques, poétiques, esthétiques, qui de tout temps ont permis de s'en jouer. Revue macabre est une revue. Elle enchaîne les morceaux de danse à un rythme enlevé, marqué par des levers et baissers de rideaux qui en morcellent le plateau.
Beaucoup réside alors dans l'efficacité des transitions, l'habileté de la composition, qui voient la pièce enchaîner les tableaux, finalement les numéros, sur le fil du grotesque, du trait marqué de cabaret, la pirouette qui remet de l'humour, souvent aussi du jeu amoureux, du jeu en tout cas, en regard des destinées ultimes.
Six interprètes danseurs – une seule danseuse parmi eux – visitent cette grande variété de situations, d'états de corps, de maniements de l'espace. Ce qu'il y a là de savamment chaotique, de joliment ébouriffé, s'appuie sur le contrepoint d'un répertoire musical exclusivement joué au piano en solo, par Aurélien Richard lui-même.
Que celui-ci se retrouve soudain tout nu devant son clavier, et alors peigné à la diabolique, en dit assez sur la façon dont ce musicien – avant tout – entend se situer, très activement, à la lisière des passages vers la performance scénique pure et simple. Ce glissement, cette tension subtile, anime tout le spectacle, où la musique se fait comme spectrale, belle et sombre, à force d'unité de jeu condensé, dialoguant avec la joyeuse disparité des danses.
Parmi ces dernières, on aura noté d'évidentes références, citations, reprises d'extraits d'un répertoire allemand de l'entre-deux-guerres. Cela fait question, pour venir le même soir que la création d'Epoque (de Volmir Cordeiro et Marcela Santander) elle aussi travaillée par cette référence ; et peu après la découverte bouleversante de Monument 0 d'Eszter Salamon, et dans l'écho de La part du risque de Latifa Laâbissi, toutes pièces ayant à voir avec cela.
Que nous dit ce goût actuel pour la référence à l'expressionnisme allemand ? Une inquiétude historique analogue, qui n'aurait rien pour rassurer, quand on sait ce qu'en fut l'issue dans les années 40 ? Au contraire le souci de questionner un mouvement artistique qui fut alors convaincu que la danse participait pleinement d'un idéal social utopique de réforme de la vie, interdisant tout confinement dans l'entre-soi chorégraphique ? Sinon , plus simplement, un mode interprétatif qui – sans faire autobiographie – cultive l'engagement de l'être-artiste au-delà des préciosités néo-performatives et post-judsonniennes obligées d'une certaine danse contemporaine à la française ?
Gérard Mayen
Le mercredi 25 février 2015 au Mac-Orlan, à Brest, dans le cadre du festival DañsFabrik.
Reprise les 11, 12 et 13 mars au Centre national de la danse, Pantin
Revue Macabre
Avec Aniol Busquets, Christine Caradec, Sylvain Dufour, Julien Fanthou, Edouard Pelleray, Aurélien Richard et Emilio Urbina
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