Quelle(s) danse(s) pour le monde après le confinement - vol. 6
Luca Masala, directeur artistique de l’Académie Princesse Grace à Monte Carlo, évoque l’incidence du confinement sur son approche pédagogique.
Danser Canal Historique : La période du confinement a bouleversé l’enseignement dans toutes les écoles, pour les professeurs et les élèves de tous âges. Les écoles de danse ne font pas exception, au contraire. Comment avez-vous vécu cette situation à l’Académie Princesse Grace?
Luca Masala : Après ces huit semaines d’isolement, je suis sans doute un homme différent. J’ai beaucoup appris. Et je veux, avec les autres professeurs, partager ces choses avec nos élèves. Car les temps changent, sans cesse. Je pense aux débuts de ma génération. Quand nous étions jeunes, notre relation avec les enseignants était distante et ils étaient parfois trop rudes. Nous devions survivre dans un milieu où les professeurs pouvaient être un peu violents. Devenus enseignants à notre tour, nous avons voulu nous démarquer mais peut-être avons-nous trop réfléchi à la place de nos élèves. Nous étions peut-être trop présents pour chercher des solutions à leurs problèmes. Pendant les huit semaines de confinement, la routine quotidienne a été interrompue, et cela a transformé cette relation. Depuis le début du confinement, les élèves doivent gérer par eux-mêmes le studio de danse qui est en fait leur chambre. Aussi la raison de danser est devenue leur propre raison. Elle ne découle plus d’un rapport hiérarchique. Au bout du compte, cette situation m’a servi, en tant que pédagogie et directeur d’école, à aider les élèves à gagner en maturité et peut-être à développer la bonne mentalité qu’un danseur devrait avoir.
DCH : Comment avez-vous travaillé pendant le confinement ?
Luca Masala : J’imagine que beaucoup d’élèves à travers le monde ont arrêté de danser parce que leurs écoles étaient fermées. Chez nous, le travail a continué, même si nous avons malheureusement été obligés à faire classe sur Zoom. Mais en relevant ce défi, les professeurs de l’Académie Princesse Grace ont travaillé pour apprendre aux élèves à mieux se prendre en charge et c’était pour moi le début de la construction d’une nouvelle façon de travailler avec les élèves. Nous avons créé des groupes par internet, pour dispenser des cours de danse, musique, composition, Pilates ou écriture. Les élèves ont créé de la poésie et des livres. Ils ont eux-mêmes établi et soumis leur planning de la semaine, jour par jour, du réveil au coucher. Et à la fin de la semaine, ils devaient m’envoyer un compte-rendu. Ils ont commencé à réfléchir sur leurs actions et leur motivation en analysant leurs réussites et leurs échecs. Pourquoi me suis-je levé le matin, pourquoi ai-je envie de travailler ou de ne rien faire ? Ils ont appris à se motiver et à se cultiver sans avoir toujours un professeur à leurs côtés, ce qui est très utile quand on commence à travailler au sein d’une compagnie. Par exemple, en histoire de la danse, ils ont eux-mêmes choisi un chorégraphe et puis un de ses ballets. Ils ont raconté, en vidéo et comme en interview, l’histoire d’une création et de son contexte. Une des élèves s’est même maquillée pour jouer à la fois l’intervieweur et l’interviewée. Il y a de la créativité qui est apparue et même un grain de folie. C’est bienvenu puisque l’originalité de la personnalité est la chose la plus importante chez le danseur. Il s’agit de former des gens à 360° et de leur donner tous les atouts pour ensuite se prendre en main. En classe de Pilates, on va par exemple leur demander de parler de leurs atouts et de leurs faiblesses et si quelqu’un répond: Ma faiblesse, c’est mes genoux, alors on va lui demander de créer une classe de Pilates basée sur le genou.
DCH : Pensez-vous que l’expérience du confinement changera durablement votre approche pédagogique ?
Luca Masala : Dans ma position précédente, au poste de maître de ballet au Ballet du Capitole, je voyais les jeunes danseurs de la compagnie traverser des hauts et des bas au cours des deux premières années, et les bas pouvaient être profonds. Seulement, je ne comprenais pas pourquoi il en était ainsi. Avec la situation si particulière du confinement, j’ai compris que les élèves qui sortent de l’école pour rentrer dans une compagnie se trouvent souvent trop livrés à eux-mêmes. C’est certes normal, mais ma conclusion est que nous pouvons les aider à mûrir un peu plus pour mieux aborder cette situation. Notre formation s’en trouvera donc un peu modifiée. Nous devrions, tout en les accompagnant, et sans être distants vis à vis d’eux, les impliquer davantage dans le choix des solutions à apporter à leurs difficultés.
DCH : Quand vous choisissez les élèves qui vont intégrer l’Académie Princesse Grace, essayez-vous de sentir s’ils sont conscients de leurs raisons et de leur motivation face à la danse ?
Luca Masala : J’essaye toujours de prendre des élèves qui sont très différents les uns des autres, physiquement et par leurs personnalités. Je cherche bien sûr de sentir chez eux la nécessité de danser, mais à leur âge on est parfois très confus et on se trompe ou on est trop fixé sur les concours ou bien ce sont les parents qui les poussent vers la danse. Mais dans l’ensemble, un des atouts de nos élèves est peut-être qu’on voit que la danse leur fait du bien, et non du mal. Je vois, ailleurs, beaucoup d’élèves qui se portent mal parce qu’ils dansent. Je viens de parler avec un de nos élèves, un Brésilien qui était rentré au pays avant le confinement, pour une intervention chirurgicale. Et puis, les hôpitaux brésiliens ont commencé à être débordés en raison du coronavirus. Cet élève s’est montré déprimé parce que la situation est très dure pour lui. Et je lui ai dit que c’est justement dans ces moments qu’on se rend compte pourquoi on a choisi la danse. Quelle est la vraie raison, qui n’est pas la raison d’un professeur ? Il faut sans doute, dans la formation, revenir à cette raison intime de vouloir être danseur. Parce que danser c’est autre chose que poster les photos de ses pirouettes sur Instagram ! C’est vers ça que je veux porter mon approche pédagogique, dans cette nouvelle phase d’après le confinement, quand l’Académie Princesse Grace rouvrira ses portes en août.
Propos recueillis par Thomas Hahn
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