Quelle(s) danse(s) pour le monde après le confinement ?
Le 29 avril, la compagnie italienne Aterballetto dévoile le premier spectacle crée sous confinement ! L’entrée dans une nouvelle ère chorégraphique ?
Nous ne mesurons pas encore les bouleversements qui nous attendent dans le monde déconfiné. Révoltes et chaos institutionnel ? Repli général ? Nouvelles solidarités ? Éveil écologique ou nouveaux records d’oxyde d’azote ? Le travail et la vie sociale basculent vers les sphères virtuelles. Fridays for Future fait grève en ligne ! Quand l’activiste devient une signature électronique, quid du spectacle vivant et a fortiori, du danseur ?
Même en pleine crise du Covid-19, nous sommes en droit de supposer que le spectacle vivant survivra à la pandémie. Dans la souffrance, et avec beaucoup de dégâts. Pour ne nommer qu’un aspect du problème : À ce jour, personne ne peut savoir à partir de quand il sera de nouveau possible, en Europe, de présenter des compagnies chorégraphiques venant d’un autre continent. Mais il ne sera ici pas question des ravages matériels à venir qui détruiront beaucoup de compagnies, certains lieux de diffusion et peut-être ce qui reste d’une presse de grande exigence. Ce sujet-là s’imposera de lui-même, par les faits.
Est-il possible, à quelques semaines de la fin - espérée - du confinement maximal, d’imaginer à quoi ressembleront l’automne à venir, l’hiver et le printemps prochain ? On s’imagine déjà devoir manipuler au quotidien, en plus du parapluie et du GPS de poche, un masque facial, un bracelet électronique et la distanciation sociale... De ce point de vue, nos déplacements - certains toujours soumis à autorisations - risquent d’être plus micro-chorégraphiques que jamais, et potentiellement burlesques. Mais en sortant pour voir un spectacle de danse, une fois arrivé au théâtre, quelle sera l’ambiance dans la salle ?
La danse est bien plus qu’une image
Partout, la maladie du Covid-19 révèle et accentue les inégalités sociales et sociétales, mais aussi bon nombre de postures et d’impostures. Qu’en est-il dans les arts ? En ce temps de fermeture des salles de spectacles, les théâtres en possession de fonds de captations mettent en ligne un grand nombre de spectacles de danse, théâtre ou opéra. Pour maintenir le lien avec leurs publics, bien sûr. Mais peut-être autant pour nous donner à ressentir la cruelle absence des corps réels, démontrant combien le lien direct avec la scène nous manque.
Quand la danse n’est plus qu’une image, elle subit un grand handicap en comparaison avec l’art dramatique. Un texte ne change pas quand on passe de la salle à l’écran. Le timbre d’une voix - tant qu’il s’agit d’un.e grand.e artiste - a le potentiel de résister. En somme, malgré toutes les vibrations perdues, un spectacle théâtral se défend mieux face à la caméra. En salle, la danse crée une empathie particulière où le corps du spectateur vibre avec ceux des danseurs. En regardant un spectacle de danse à l’écran, on obtient certes un outil précieux pour l’analyse d’une œuvre, mais le plaisir fait défaut. Ni vibrations, ni empathie. Comme si les théâtres voulaient, par ce biais, nous rappeler les sensations dont nous sommes privés et nous presser à revenir en salle dès la réouverture. Et nous y serons!
La distanciation chorégraphique est-elle possible?
Dans un autre domaine aussi, les comédiens sont mieux lotis que les danseurs. Quand les interprètes sont confinés à domicile, une compagnie de théâtre a dix fois plus de chances de répéter via internet. De toute façon, en France la création d’un spectacle dramatique commence le plus souvent par un « travail à table ». En danse, c’est impossible. Le corps y peut tout, mais en contrepartie il doit tout porter, parfois au sens concret du terme. La danse doit tout à la présence du corps, à la sensualité qui l’anime, à sa quête de liberté et de rencontre avec une autre corps, avec un espace, une musique, une image... La danse n’existe que dans la relation, que celle-ci soit réelle ou désirée, investie ou réfléchie, collective ou abstraite…
Dans un paysage culturel post-pandémique, verrons-nous donc émerger un nouveau type d’art chorégraphique? La danse saura-t-elle s’adapter à un nouvel environnement et réinventer ses modes de production? Peut-elle trouver des solutions pour répéter à distance et déboucheront-elles sur de nouvelles manières de construire un spectacle? Jusqu’où et de quelle manière la danse peut-elle migrer vers les espaces virtuels? S’il est impossible de prédire les directions que prendra l’inventivité des artistes, il est clair que certains chorégraphes sont déjà très proches de ces nouveaux univers et que leur imagination pourra être plus qu’utile dans le changement d’ère qui nous attend.
Aterballetto : 1 meter CLOSER
C’est peut-être la première création chorégraphique sous condition de distanciation sociale et la première dont le titre se réfère directement à la situation de confinement. Avec ce titre, la compagnie italienne Aterballetto joue sur la distance de sécurité entre les individus, avec une pièce entièrement conçue et créée alors que les interprètes et le chorégraphe, Diego Tortelli, étaient confinés à leurs domiciles respectifs, à Milan, Turin, Londres, Reggio Emilia et Lerici. La première diffusion télévisuelle, et donc la première première d’un nouveau genre, est prévue pour le 29 avril, la Journée Internationale de la Danse de l’Institut International du Théâtre lié à l’UNESCO.
Tortelli et les danseurs se sont interrogés sur les effets psychiques du confinement et ont travaillé sur le poids des contraintes qui pèsent sur nos relations en isolement. En se rapprochant d’un mètre les uns des autres, interviennent deux extrêmes: La douceur d’une caresse et la violence d’un coup de poing. « Je pense que cela résume nos émotions en cette période », dit Tortelli, ancien danseur pour le Ballet National de Marseille, La Veronal et tant d’autres, qui a aussi chorégraphié pour la Compania Nacional de Danza de Madrid.
Une « vidéocréation chorégraphique en quarantaine »
Tutti a casa – tous chez eux: Cette façon de créer est, on s’en doute, très différente du travail en studio. « Les choses se sont inversées », remarque Tortelli. Habituellement, le chorégraphe passe beaucoup de temps en studio avec les danseurs pour élaborer la chorégraphie, et ne dispose que d’un temps insuffisant pour régler les éclairages, le son et d’autres défis techniques. D’où le fait que tant de spectacles se bonifient avec le nombre de représentations. Pour 1 meter CLOSER, les tournages chez les seize interprètes se sont déroulés entre le 24 mars et le 8 avril 2020, laissant un temps plus important à la postproduction de cette « Videocreazione coreografica in quarantena ».
Mais il y avait d’autres contraintes. Entre interprètes vivant dans une même ville, il a bien fallu se passer la caméra, chacun.e devant se filmer par ses propres soins. Il y a donc eu des rendez-vous quasiment clandestins dans des supermarchés pour se passer le relais. Et volontairement, les suivants ont été laissés dans l’inconnu quant à la danse filmée par les précédents. Au chorégraphe et à la régisseuse Valeria Civardi d’assurer la cohérence de l’ensemble. Les consignes étaient de danser trois séquences : Une phase d’aliénation et d’isolement, une autre où l’interprète cherche le contact avec le spectateur et une dernière où les danseurs s’observent les uns les autres. Le résultat, probablement la première ‘choronéographie’, sera diffusé le 29 avril 2020 à 20h55 et à minuit sur RAI 5 en Italie et puis sur le site internet et les canaux sociaux de la Fondazione Nazionale della Danza / Aterballetto.
La danse et les écrans
« Nous avons surtout travaillé sur l’abstraction du corps et des émotions », dit Tortelli à propos de cette création. Ce qui nous amène au cœur du sujet. Car l’abstraction est l’un des vecteurs qui confèrent à une chorégraphie une qualité qu’on pourrait aujourd’hui qualifier de ‘corona-compatible’. Ce qui veut dire: Si je regarde une création en condition de confinement, et donc à l’écran, cette représentation d’un spectacle créé pour la salle n’est pas moins fascinante que l’original, tel que je peux le voir dans un théâtre, entouré des autres spectateurs.
C’est bien sûr aussi une question d’esthétique et d’utilisation de média, d’un esprit né avec l’ère des écrans et de l’espace virtuel, où la présence du corps se redéfinit par un filtre technologique. Ces chorégraphies existent déjà, parfois depuis fort longtemps. Mais le confinement nous amène à changer de regard sur ces œuvres. Et ce ne sont pas les propositions les plus novatrices en matière de technologie qui peuvent le plus facilement échapper aux restrictions imposées par la distanciation sociale. À suivre….
Thomas Hahn
1 meter CLOSER, le 29 avril (20h55 et minuit) sur https://www.raiplay.it/dirette/rai5
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