« Podium » à la Rampe Échirolles
Pour sa dixième édition, le concours chorégraphique (Re)connaissance a changé de nom, de logo et de périodicité, sinon d’esprit. Son appellation latine évoque, pour les plus de vingt ans, le magazine des fans de Cloclo, s’écrit en lettres capitales bordées de part et d’autre de motifs Op designés par Marion Greco. Marie Roche, directrice du Pacifique, maison mère de l’organisation, a transformé la manifestation en biennale, celle-ci alternant avec celle de Lyon. Malgré ces modifications, le public était au rendez-vous et a réagi avec enthousiasme à chacune des propositions accueillies par Joséfa Gallardo dans la grande salle de la Rampe et présentées par Jacky Rocher, son prédécesseur à la tête de l’établissement.
Cette transition s’étant faite en douceur, le public étant resté fidèle, peut-on dire que les nouvelles règles du jeu de cette compétition (avatar de celle de Bagnolet et du concours chorégraphique des AID que créa en 1933 Rolf de Maré) permettent de faire émerger de nouveaux talents ? Pas sûr, vu les pièces programmées, ni toutes remarquables, ni de fraîche date, pas évident, étant donné le palmarès. Les organisateurs y peuvent-ils quelque chose, dans la mesure où ils ont délégué leur pouvoir discrétionnaire – celui de la programmation, qui est un art, non un moyen technique, un engouement passager, une tocade – à d’autres, les dix-sept « partenaires culturels » répartis dans la région grenobloise ou la débordant jusqu’à Genève, Biarritz, Istres, Marseille, Rennes.
Trois prix, l’un du public, les deux autres attribués par un jury issu du mundillo de la danse, sont censés aider ces pièces à circuler grâce à des relais aux quatre coins de l’hexagone. Les trophées, cette année, sont allés à des opus vus le jour où nous étions présents, c’est-à-dire le second. Est-ce à dire qu’on avait gardé le meilleur pour la fin ou bien que les jurés ont la mémoire courte ?
Délices (2015) d’Aina Alegre, interprétée par elle-même et Charlie Fouchier, a reçu le prix des « solos-duos », catégorie esthétique discutable sachant qu’une variation n’a que peu à voir avec le travail en tandem. L’intention de ce qui fut une « création » il y a quatre ans déjà, était, d’après le dossier de presse, de présenter « un laboratoire physique autour du désir obstiné de deux corps d’“être ensemble” : s’absorbant, se pénétrant, s’avalant, se prêtant l’un à l’autre et au jeu. » Pour ce faire, homme et femme se produisent torse nu, les gambettes protégées par des collants, rouge vif pour l’un, bleu turquoise pour l’autre. La pièce n’étant livrée qu’en extrait, on n’a pas su la fin de la séance de bondage mais les spécialistes de la chose ont jugé les jeune gens peu expert dans l’art du shibari qui n’autorise pas l’amateurisme.
Danza permanente (2012, ce qui ne nous rajeunit pas) de DD Dorvillier et Zeena Parkins, prix de la pièce de groupe, détourne, en l’assourdissant, l’insonorisant, l’émaillant ici ou là de quelque effet bruitiste, le quatuor à cordes Opus 132 en la mineur de Beethoven, et le « transpose note par note en mouvement. » En voilà une idée qu’elle est bonne, eût dit Coluche. Le problème est que le quatuor paritairement genré, deux grands gaillards et deux jeunes femmes les cheveux au carré, tout le monde en short pour la randonnée, nous rappellent un peu trop le mime Decroux, dans les poses, les postures et y compris la tenue ou la troupe du chorégraphe de l’étape, Gallotta et les grands enfants de Mammame.
NaKaMa (2018) de Saief Remmide a séduit le public, moins pour la virtuosité des danseurs que pour ses qualités visuelles (les éclairages atmosphériques, sa structure en tableaux) et l’efficacité de la bande-son (notamment une chanson japonaise extrêmement lyrique).
Nous avons, certes, échappé au pire. Celui-ci étant à nos yeux ou plutôt à nos oreilles Fin et suite (2019) de Simon Tanguy, une pièce de café-théâtre insignifiante vendue comme « une danse d’avant l’apocalypse » par le Triangle de Rennes – quand on sait ce qu’a pu représenter dans l’histoire le Tanztheater !
Plusieurs connaisseurs en danse, pour nous dignes de foi, parmi lesquels un fameux chroniqueur de votre site préféré, ont estimé exceptionnel le solo de Nach intitulé Cellule (2017). Étonnamment, la danseuse-chorégraphe krump est repartie bredouille, sortant discrètement du plateau en fin de gala.
Décidément, le clair-obscur n’a pas eu l’heur de plaire au jury puisque ni la variation hypnotique aux effets cinétiques de Benjamin Coyle, Eldfell (2017), ni le magnifique duo des artistes accomplis que sont Julie Coutant et Éric Fessenmeyer, Suite (2015), une des rares pièces données intégralement et non sous forme d’extrait(s), douce et lente métamorphose de deux corps évoluant au bon tempo et occupant l’espace scénique de manière idéale, soulignée par la lumière de Josué Fillonneau et la B.O de Thomas Sillard n’ont été distinguées, sinon par nous.
La suite, si l’on peut dire, au prochain numéro.
Nicolas Villodre
Vu le 30 septembre 2019 à la Rampe-Ponatière d’Échirolles.
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