Ouverture de saison à l’Opéra de Paris
Avec le retour de Forsythe et les Adieux de Laura Hecquet dans Le Défilé, une création d’un tout jeune chorégraphe américain et une entrée au répertoire de Johan Inger, l’Opéra de Paris ouvre la saison en beauté.
C’est avec Le Défilé que la danseuse étoile Laura Hecquet a choisi de faire ses Adieux. Nommée en 2016, soit assez tard après son engagement dans le Corps de ballet (2002) et son Prix de l’Arop (2006), cette belle danseuse, excellente balanchinienne, a eu une carrière en pointillés car jalonnée de nombreux accidents. Ceci explique sans doute cela, car il est rare qu’une étoile ne danse pas un ballet entier le soir de ses Adieux, et de ce fait, ne bénéficie pas d’une sorte de cérémonie officielle un peu plus longue que ces derniers saluts, où Laura Hecquet a salué et embrassé la troupe et ses pairs.
Après cette célébration, le Foyer ouvert pour l’occasion sert de fond et de décor exceptionnel et rutilant à un tout jeune chorégraphe américian, My’Kal Stromile, boursier du Président Barack Obama passé par la Juilliard School et le Boston Ballet, et par le mentorat de William Forsythe. Passé par toutes sortes de vocabulaires, du classique le plus rigoureux à la comédie musicale et de quelques pas de hip-hop au contemporain – comme la plupart de ses compatriotes – il développe dans Word for Word tout son lexique, plutôt riche, allié à la syntaxe du contrepoint Forsythien. Il est servi par un quintette d’exception, à savoir Valentine Colasante, Hannah O’Neill, Guillaume Diop, Jack Gasztowtt, et Rubens Simon.
Galerie photo : Word for Word de My'Kal Stromile © Laurent Philippe
Habillés de costumes signés Chanel (tutus rose fanés et petits boléros brodés) les danseuses et danseurs sont fulgurants de précision et d’allant, dans leurs envolées exquises et de ports de bras élégants. La construction de ce quintette doit pratiquement tout à William Forsythe son « élève » ayant appliqué à la lettre son principe du contrepoint, ses décalages et ses effets miroirs, ses canons harmoniques ou dissonants… Avec une touche de liberté et une recherche dans les pas classiques qui doit sans doute un peu à ces interprètes de talent choisis peut-être aussi pour le « contrepoint » que les uns apportent aux autres. Ainsi la force et l’intensité du bondissant Gasztowtt, balance admirablement les essors fluides et élégants du fougueux Diop, tandis que les figures élaborées par Simon sont colorées d’une distinction rare. Idem pour O’Neill et Colasante, la virtuosité piquante de la première s’accordant à merveille aux élans plus lyriques de la seconde. Tours, petite batterie, et sauts explosifs sont au programme avant de se développer dans des Pas de deux assez romantiques avec le Foyer de la danse en toile de fond.
Galerie photo : Galerie photo : Word for Word de My'Kal Stromile © Laurent Philippe
Après l’élève, le Maître, soit Forsythe lui-même, qui a recréé Rearray, composé initialement pour Sylvie Guillem et Nicolas Le Riche pour le Saddler’s Well Theater en 2011. Réarrangée, comme le suggère le titre, cette nouvelle version, l’œuvre est devenue un trio qui réunit Roxana Stojanov, Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard. Difficile de faire mieux dans la limpidité de l’écriture chorégraphique de ce ballet, et dans sa complexité d’exécution. Partant de l’icosaèdre Labanien, qui postule que tous les mouvements sont compris dans cette figure géométrique et qu’il suffit de leur ajouter une ou plusieurs caractéristiques pour les définir, et de mouvements d’obédience classique, Forsythe passe son temps à transgresser ou excéder ces règles pour imprimer sa gestuelle sur les corps des danseurs et de la danseuse.
Galerie photo : Rearray de William Forsythe © Laurent Philippe
Roxana Stojanov est impériale dans ce ballet. Ses mouvements hyperconnectés et son alacrité à changer de direction, ses battements de jambes acérés qui n’ont d’égal que le moelleux des bras sont absolument superbes. Takeru Coste et Loup Marcault-Derouard ne sont pas en reste et excellent dans leurs sinuosités couplées à des stridences, à l’image de la partition de David Morrow. Plus le trio se déploie, plus il s’enchevêtre, jusqu’à risquer l’entrave et donc l’immobilité – qui est l’une des données essentielle de Rearray, comme de la musique qui joue des silences de la même façon. Et, en ce sens, cette courte partition musicale comme chorégraphique, est un chef-d’œuvre d’équilibre car elle se tient sans cesse au bord de sa dissolution.
Galerie photo : Galerie photo : Rearray de William Forsythe © Laurent Philippe
Nous ne reviendrons que peu sur Blake Works I du même Forsythe que nous avions déjà chroniqué lors de sa création en 2016 [lire notre critique]. Bien sûr, les danseurs ne sont plus tout à fait les mêmes – encore que l’on en retrouve certains, comme Germain Louvet – mais à l’époque il permettait aussi de découvrir quelques nouveaux danseurs, ce qui est encore le cas aujourd’hui avec Shale Wagman ou Enzo Saugar, Naïs Duboscq ou Caroline Osmont, et aussi, cette fois de mettre en valeur de superbes Premier.es danseurs et danseuses comme Silvia Saint-Martin, Inès McIntosh, Florent Mélac, et Jérémy-Loup Quer, et de jeunes étoiles, comme Bleuenn Battistoni ou Paul Marque.
Galerie photo : Galerie photo : Blake Works I de William Forsythe © Laurent Philippe
Enfin, l’entrée au répertoire d’IMPASSE de Johan Inger (créé en 2020 pour le NDT2) était la nouveauté de cette soirée. Si le synopsis est plutôt simple, trois individus (deux hommes, une femme) se font peu à peu récupérer par la masse, finissant par accorder leurs singularités à la pensée (ici la gestuelle) dominante, jusqu’à étouffer (ici symbolisé par le rétrecissement progressif d’une maison), la chorégraphie est plutôt plaisante et surtout portée à merveille par les danseurs de l’Opéra, notamment par Marion Gautier de Charnacé, Yvon Demol et Julien Guillemard, mais les autres sont tous excellents.
Galerie photo : Galerie photo : IMPASSE de Johan Inger © Laurent Philippe
On remarque notamment le retour de Letizia Galloni dans la troupe, mais aussi la “Queen“
de Charlotte Ranson ou la “Pregnant Lady“ d’Apolline Anquetil. Mais quel drôle de mélange chorégraphique. On y retrouve, curieusement, pas mal de vocabulaire emprunté à Hofesh Shechter, un peu de Mats Ek, et même quelque chose de Crystal Pite dans sa façon de détourner le jazz de comédie musicale dans une synthèse clownesque (ce qu’elle avait réussi avec brio dans Betroffenheit). Bref, on peine un peu à distinguer la griffe du chorégraphe suédois, malgré un spectacle assez séduisant et une scénographie convaincante.
Agnès Izrine
Le 12 octobre 2024, Opéra Garnier.
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