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« Nuée » d'Emmanuelle Huynh

Au Théâtre Bernadette Lafont à Nîmes, la chorégraphe révèle sa part asiatique dans un solo.

Jamais elle ne nous avait parlé comme ça – d’elle-même. De son père, de ses pieds, du Vietnam. Bref, de la part d’Asie qui sommeillait en elle et qu’elle est allée réveiller, à Saïgon et dans le delta du Mékong. De son séjour, lié à une résidence de création, elle a peut-être ramené quelques cartes postales. Mais une chose est certaine : Nuée n’en fait pas partie. Partie elle est, sur les traces culturelles de son père, décédé en 2018,  pour un voyage vécu en même temps comme un périple intérieur. Donc, pas de bambous sur le plateau, ni pagodes ou autres images exotiques. 

Etats de pieds

Huynh s’adresse à son père depuis un « pays incertain », selon les mots de Gilles Amalvi, qui dote l’espace scénique d’une sphère lexicale où des pistes se dessinent et se brouillent à volonté. D’abord, l’écriture joue un seule-en-scène, dans le silence. Comme pour signifier que l’intime, quand il nous invite à sa lecture, refuse de choisir entre l’écriture du corps et celle du verbe. Une introduction, en fait. 

Ensuite, les mots participent à la danse : « Cher père perdu qui m’as donné ce pied avec le reste du corps... » Un pied, des pieds. Trop grands pour l’Asie, et pourtant dotés de plantes trop larges pour l’Europe. Ce qui ne facilite pas la danse, surtout en chausson de ballet. Et même en contemporain. Et pourtant, pour l’anecdote, Odile Duboc choisit les pieds d’Emmanuelle, en 1999, pour l’affiche de 3 Boléros, avec ceux de Boris Charmatz « car ils métamorphosaient parfaitement l’ancrage au sol qu’elle désirait rendre visible à travers son Boléro en duo ». 

On y voit les jambes aussi, jambes « redressées » pendant « beaucoup d’années », et avec succès : « ...ça a marché, mes cuisses se touchent. » Ce qui a son importance en danse (à moins de faire du butô), mais aussi dans la vie, pour les croiser sur un canapé, à l’occidentale. Des pieds et des jambes, pour enjamber des continents et leurs cultures. « Aujourd’hui mes pieds sont mon socle, je suis devenu une danseuse terrienne », explique-t-elle. 

Etats de nuée

Une Nuée, pourtant, est aérienne. Par les mots d’Amalvi, « une zone de pression qui peut se charger d’électricité, fondre en pluie, éclater en orage. » Ou encore, « un corps – gazeux, solide, liquide. » Autrement dit, une entité incertaine qui échappe à nos sens. Et Huynh, sur scène,  de passer à travers les états les plus différents, nous échappant, se concrétisant, se métamorphosant entre présence et effacement.  

Dans Nuée, les fantômes ont droit de cité. Le voyage entre la France et le Vietnam passe par les limbes, zone où rien n’est figé, où tout est en état vaporeux car en transition, entre un « pays incertain » qu’elle appelle « mon dépays », ce « cher pays dans l’incertitude du corps » (Amalvi) et ses souvenirs, de petite fille en élève de danse classique et puis, interprète contemporaine. 

Etat de maturité

Pas de bambous sur scène, mais trois tiges métalliques, surplombées de boites carrées diffusant la musique de Pierre-Yves Macé où s’entremêlent des sons d’ici et de là-bas, électroniques ou symphoniques. Caty Olive, après avoir ouvert l’espace vers une (in)certaine absence en le peuplant de ces haut-parleurs, matériels et fantomatiques à la fois, le concrétise ensuite par, justement, une nuée de brouillard dans laquelle se dessine une lucarne très concrète, soutenue par une batterie de projecteurs visant le ciel comme pour abattre quelque avion ennemi. Car la guerre aussi est présente dans Nuée

Solo paradoxal, car acte de disparition par la danse, Nuée reprend le flambeau de Mùa, dans son dialogue avec l’obscurité, suggérant par là une dimension cyclique du temps. Les pas, les pieds, « perdus entre deux mondes », se posent pourtant toujours au bon endroit, sur la route d’une autofiction, à la fois voyage initiatique et achèvement, complexe et limpide en même temps. Ce qui s’appelle: maturité. On se réjouit donc de découvrir pleinement une chorégraphe dont on connaissait pourtant parfaitement le travail, sentant que Nuée pourra lui permettre d’atteindre de nouveaux horizons, à partir de ce « dépays » qu’on sent parfaitement accueillant. 

Thomas Hahn

Vu le 18 mars 2021, Théâtre Bernadette Lafont, Nîmes (représentation réservée aux professionnels)

Nuée Création 2021

Conception et interprétation : Emmanuelle Huynh Dramaturgie et textes : Gilles Amalvi
Lumières et scénographie : Caty Olive Musique : Pierre-Yves Macé Collaboration artistique : Jennifer Lacey et Katerina Andreou
Costumes : Thierry Grapotte
Ressources chorégraphiques et vocales : Florence Casanave, Nuno Bizarro, Ezra et Jean-Luc Chirpaz
Ressources en astrophysique : Thierry Foglizzo Flûte enregistrée : Cédric Jullion
Prise de son et prise de voix au Vietnam : Brice Godard et Christophe Bachelerie
Voix : Hanh Nguyen, Huong Nguyen, Ly Nguyen et Nguyễn Thuận Hải Direction technique : Maël Teillant
Administration et développement : Amelia Serrano
Production, diffusion et communication : Hélène Moulin

Tournée

Jeudi 30 septembre 2021- Scène Nationale d’Orléans
Mardi 12 octobre 2021 - Equinoxe, Scène Nationale de Châteauroux - Novembre 2021 (dates et lieu à préciser ) - Festival TNB, Rennes -
Du jeudi 25 au samedi 27 novembre 2021 - Maison de la musique de Nanterre, scène conventionnée d’intérêt national (avec le Festival d’Automne à Paris)
Mercredi 12 janvier 2022 - Le Vivat, Armentières
Janvier 2022 - Bonlieu Scène Nationale Annecy (dates à préciser) - Théâtre Garonne, Toulouse (dates à préciser)
2022-2023 - Espace Malraux Scène Nationale Chambéry Savoie (dates à préciser)

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