Noureev, une vie
Une somme définitive sur la vie de Noureev, danseur mythique de son vivant, légende indépassable de la danse depuis sa mort.
« Rudi est un artiste, un animal et un salaud ». Ce jugement définitif signé Jerome Robbins, qui n’avait pas non plus la réputation d’être un tendre, sous-tend, d’une certaine façon, toute cette biographie de Julie Kavanagh, journaliste, ancienne danseuse, mariée au danseur du Royal Ballet Ross MacGibbon devenu chargé de la danse à la BBC. Le pedigree de Kavanagh a ici son importance, car il lui a probablement permis d’avoir accès à de nombreuses sources d’investigation. Reste que pour construire ce récit minutieux il lui a fallu de dix ans de collectes diverses, de rencontres et d’entretiens.
Ce livre a le mérite de faire apparaître le danseur étoile sous toutes ses facettes, de sa naissance en 1938 dans un train en Russie, à sa mort des suites du sida à Paris en 1993.
Kavanagh a exploré tous les aspects de ce personnage sans complaisance. Peu sympathique, cherchant rarement à l’être, séducteur néanmoins, égoïste, certes, mais surtout complètement décalé du monde qui l’entourait, vivant dans un fantasme permanent de l’Est et de l’Ouest. Tiraillé entre une Russie qu’il a quitté mais parée rétrospectivement d’une aura artistique qu’il aura à cœur de faire revivre, et un goût du « star system » occidental en pleine ascension dans la pop culture des « sixties ». La rencontre avec Mick Jagger racontée dans cet opus est absolument savoureuse et très significative de l’homme Noureev.
Ensuite, il y a le mythe. La Star absolue et Tsar de la danse a débuté sa vie de danseur avec le handicap d’être issu d’une famille très pauvre d’Oufa, peu encline à le pousser dans cette voie. Il commence la danse tard. Trop tard peut-être. Ça le poursuivra toute sa vie. Il n’aura jamais la perfection technique de Youri Soloviev (qui sera en tournée avec lui à Paris lors de sa défection) et encore moins d’Erik Bruhn, son mentor et amant. Il aura autre chose : sa volonté infaillible et surtout son désir d’être la Danse à lui tout seul. Et Noureev, indéniablement a su l’incarner, jusqu’à être considéré comme le plus grand danseur de la seconde moitié du XXe siècle.
Dans cette biographie, Julie Kavanah explore le destin « hors-norme » de ce « nouveau Louis XIV » tel que le qualifia Violette Verdy, ses apports à la danse masculine, ses rencontres et partenariats d’exceptions, notamment avec Margot Fonteyn, avec un foisonnement de détails, dont on se demande parfois comment elle a pu les obtenir.
On ne vous racontera pas tout le livre ici, ni même les passages les plus marquants, franchement, mieux vaut le lire. Ce qui est sûr, c’est que Kavanagh a fait de ce Noureev, un personnage attachant et désagréable, d’un courage impressionnant face à la danse et à la mort, peureux devant l’amour, rebelle mais défenseur impétueux de la danse russe école Vaganova, curieux, insatiable, sex symbol, artiste en diable, monstre sacré.
Ecrit de façon fluide, oscillant sans cesse entre le récit indirect des sources rapportées, et l’implication de la narratrice qui aurait tendance à faire basculer le lecteur du côté de la fiction – l’épisode du Bourget a tout du bouquin d’espionnage – , Noureev se dévore comme un (gros) roman.
C’est d’ailleurs ce livre, avec sa dimension de docu-fiction, qui a inspiré le réalisateur et acteur Ralph Fiennes pour son excellent film, Noureev, qui sort en salles le 19 juin prochain. Avec Oleg Ivenko dans le rôle de Noureev, Ralph Fiennes et Adèle Exarchopoulos, le film retrace l’épisode où le danseur demande l’asile politique en France, à l’aéroport du Bourget, le 16 juin 1961. On vous conseillerait volontiers de lire le livre avant d’aller voir le film… mais l’inverse est tout aussi vrai.
Agnès Izrine
Julie Kavanagh, Noureev, une vie. Editions l’Archipel. 832 pages. 25 €. Parution le 5 juin 2019.
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