« Mystik » d’Hervé Chaussard
Sur la voie d’un improbable royaume céleste, sept chevaliers suivent les traces d’une « expérience mystique » vécue par le chorégraphe.
En 2002, sur le plateau d’Aups, dans le Var, Hervé Chaussard a vécu ce qu’il appelle une « expérience mystique ». Longtemps, il n’en a parlé à personne, par crainte. Allait-on le prendre pour un fou ? Pour quelqu’un qui se prend pour un prophète ? Pour un amateur de drogues ? Il commence pourtant à assumer, à se dire qu’il n’a pas à avoir honte. D’où un projet chorégraphique placé sous le signe du mystique, autour d’une pièce pour sept danseurs : Mystik.
Les vagues allusions autour de la troublante vision qui a envahi son esprit ne permettent pas d’en retracer la nature. Mais ses rémanences chorégraphiques sont des plus concrètes. Sept chevaliers de fortune font leurs rondes sur le plateau, pendant cinquante-cinq minutes, à la poursuite d’un but commun, voire de plusieurs. Leur phrase chorégraphique, étroitement définie, puis répétée et variée à l’infini, galvanise les individualités, autant que la communauté.
Chaussard, ancien interprète d’Angelin Preljocaj, de Sasha Waltz et d’Emanuel Gat, aujourd’hui artiste associé au Ballet Preljocaj, se révèle ici être un chorégraphe solidaire, au sens scientifique du terme. Car les sept corps se présentent comme un seul être, telles des molécules solidarisées dans une structure chimique unique. Ce qui n’est pas gagné d’avance, vue la diversité des gabarits et des morphologies, souvent atypiques, même en danse contemporaine.
Galerie photo © Jean Claude Carbonne
Aérobic, mystique et Fantasy
Ces corps « quotidiens » mettent symboliquement le public sur le plateau. Simples et entraînants, leurs développés des bras, leurs torsions et leurs pas, si répétitifs et lancinants, invitent le spectateur à se projeter dans la danse. Ce n’est pas pour rien que Chaussard choisit l’Aérobic comme l’une de ses références (« Il y eut une femme envoyée de Will : son nom était Jane Fonda. / Elle vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage à la transe ») et que les soirées de son Mystik Project se terminent avec un « groupe de Dance Jockeys qui mixent leurs danses sur des sons Techno » pour laisser « la piste de danse aux invités pour qu'ils puissent à leur tour mener la danse. »
Derrière les Dance Jockeys se cache évidemment Chaussard, grand mélomane qui mixe, pour le spectacle présenté sur le plateau, « 222 échantillons de chansons et de sons », souvent extraits de tubes des années 1980 et 1990 et surtout des premières expériences en musique synthétique, faisant revivre les sensations de futurisme de l’époque, désormais teintés de nostalgie, comme dans l’univers des films Fantasy, autre source vive d’inspiration pour Mystik: « Des quatre coins du monde, de gigantesques volontés partent à la conquête de l’autre monde : à bord de leurs navires, des terriens, avides de rêves, d’aventures, de temps nouveaux et d’espaces, à la recherche de la fortune. Qui n’a jamais rêvé de ce monde souterrain, de ces mires lointaines peuplées de légendes ? »
La cérémonie, selon The Will
Les gestes des sept croisés s’amplifient et s’adressent de plus en plus à une instance inconnue, que l’on devine dans un ailleurs mystérieux. Au fil des variations aérobiques, la communauté approche de l’extase, dans une vraie dynamique de groupe: Chacun suit les six autres pour justifier ses propres élans mystiques.
Joyeusement, naïvement, les corps, costumes et gestes approchent certains imaginaires de l’illumination spirituelle et des sagas aventuriers, comme deux versants d’un même exotisme. Aussi Mystik est-il à la danse ce que le Douanier Rousseau est à la peinture. Et le chorégraphe se révèle en collagiste sonore et maître de cérémonies.
Chaussard appelle sa compagnie The Will, créé les collages sonores en tant que DJ Will et a sans doute pensé, en choisissant ces noms, aux Willis autant qu’à la volonté divine qui serait à l’origine de son « expérience mystique ». Au Pavillon Noir du Ballet Preljocaj, les sept interprètes de Mystik ont joué les prolongations à l’espace bar, avec une danse collective toute aussi soudée mais plus loufoque encore, surfant sur un second degré bien tempéré, traversant les époques en allant de la musique symphonique et d’un corps de ballet satirique vers une explosion en techno, telle une invitation au public d’apporter sa propre conclusion à une œuvre collective.
Thomas Hahn
Vu le 19 octobre 2018, Aix-en-Provence, Pavillon Noir.
En tournée: le 21 novembre 2018, Dijon, L’Atheneum
Mystik
Création 2018
Chorégraphie : Hervé Chaussard
Interprétation : Marie Barbottin, Pierre Boileau, Idir Chatar, Benjamin Forgues, Yan Giraldou, Gaëtan Jamar, Véronique Laugier
Création sonore : DJ Will
Lumières : Julien Guérut
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