Mort de Rick Odums - Hommage
Figure de la danse jazz et de sa pédagogie, le chorégraphe est mort le 19 juin 2025 à Paris, la ville qu'il avait élue. Mais le parcours de cet américain à Paris qui portait en lui la mémoire de la véritable « afro-american dance » en dit aussi beaucoup sur la danse bien française.
Pendant une bonne partie des années 80, la question fut récurrente parmi les tutelles, particulièrement celles distribuant des subventions, que faire du cas Rick Odums. Car ce chorégraphe parfaitement américain, né le 17 avril 1955 à Houston, Texas, Etats-Unis, était tellement installé en France, qu’il était impossible de le négliger alors que sa danse et l’histoire de celle-ci venait vraiment d’un autre monde. Celui là même dont la jeune danse française se dégageait avec la mauvaise conscience des enfants qui quittent le nid. Ce modern jazz qu’incarna pendant si longtemps Rick Odums, qui constituait la base de son enseignement et de sa création était aussi la forme vernaculaire avec laquelle s'était construit une grande majorité des danseurs français, mais dont ils s'efforçaient de se dégager.
La complexité de la position de Rick Odums, très différent en cela de son confrère es-danse-jazz et quasiment contemporain (à un an près) Redha, apparaît dès que l'on soumet le nom du premier à l'exercice du moindre moteur de recherche, à commencer par celui du modeste ordinateur du présent auteur : voir mêler dans la même réponse Nacera Belaza, Fauve Hautot, Patrick Dupond et le syndicat Chorégraphes Associés n'est assurément pas banal surtout si l'on rappelle que Rick Odums est d'abord un pur produit de la Black American Dance (et les majuscules s'imposent)…Houston, le sud, et la danse. Rick Odums y naît d'un père afro-américain et d'une mère indienne Cherokee, ce qui dans les années de ségrégation raciale promet quelques embûches…
Le jeune homme qui envisage un temps de devenir pasteur s'en voit détourné pour la danse ; une légende tenace veut que ce soit Debbie Allen, la « fameuse prof de danse » de la série télévisée Fame qui l'encourage à danser. Elle même ayant dû surmonter les préjugés raciaux pour entrer au Houston Ballet, elle oriente le jeune homme vers Patsy Swayse (1927- 2013), la chorégraphe du film Urban Cowboy de James Bridges (1980), mettant en scène les acteurs John Travolta et Debra Winger, fondatrice de la Houston Jazz Ballet Company et de la Swayze School of Dance, forte de caractère et dénuée de tout préjugé. A dix-sept ans, Rick Odums commence vraiment la danse, il va rapidement y exceller. Couvé par le clan (mère et fils, le fameux Patrick Swayse (1952-2009) l'acteur de Dirty Dancing et Ghost), il danse dans la compagnie, le Houston Jazz Ballet, fondée par Patsy Swayse, et y crée ses premières chorégraphies.

Profitant des opportunités offertes par les productions de l'Opéra de Houston, il y danse en 1975 dans la production de Treemonisha, l'unique opéra de Scott Joplin, écrit en 1911 mais oublié (un opéra de « noirs », vous n'y pensez pas !) et qui n'avait été créé qu'en 1972 à Atlanta. Le jeune danseur suit l'œuvre lorsque celle-ci est reprise à Broadway ; et il va s'y faire une place, autant dans le On que le Off. A Broadway, il découvre le meilleur de la Black dance : Talley Beatty, l'Alvin Ailey American Dance Theater et surtout Franck Hatchett (1935-2013) véritable légende de la danse jazz, surnommé le « Docteur de la danse jazz » qui va le prendre sous son aile en particulier au studio qui deviendra plus tard le Broadway Dance Center.
Beaucoup plus tard, Rick Odums résumera sa formation : « Le jazz pour moi, c'est commencer mes études avec Patsy Swayze, une fabuleuse dame blanche du Sud, une « soulful Lady, comme on dit chez moi, puis les poursuivre avec Franck Hatchett, un grand noir funky du nord des États-Unis. Tous deux avaient en commun le sens, la compréhension, le feeling du rythme. […] Tous deux ont eu une grande influence sur moi mais chacun percevait, exprimait et transcrivait les rythmes en mouvement de façon différente. Néanmoins, leur idiome était toujours identique, celui du modern jazz. Moderne parce que contrairement au jazz traditionnel, l'improvisation n'était pas l'un des facteurs principaux que l'on nous apprenait à développer dans cette danse. » (Histoire de la danse jazz ; Éliane Seguin, éditions Chiron, Paris 200 », p264). Entre numéros dansés dans le plus pur style du Holywood florissant et la machine bien huilée de Broadway, Rick Odums a trouvé sa place en assumant sa « black dance », lui qui, encore plus tard, revendiquait être un métisse.
Mais un tournant se profile : le jeune danseur est devenu une personnalité de l'industrie du show de Broadway alors que le couturier Pierre Cardin se passionne pour la chanteuse et actrice Vivian Reed qu'il qualifie de « nouvelle Joséphine Baker » et qu'il invite à se produire à l'Espace Cardin, en bas des Champs Elysées. Le premier concert de Vivien Reed à l'Espace Cardin est un événement marquant. Il a eu lieu le 22 mai 1983 et un jeune danseur américain s'y produit : Rick Odums. Il ne quittera plus la France.
Il fonde sa propre compagnie, Dance Explosion en 1983 qui deviendra bientôt les Ballets Jazz Rick Odums. La compagnie va permettre à Rick Odums de développer ses propres pièces et une certaine vision de la danse afro-américaine.
En 1988, il fonde, l’IFPRO, un centre international de formation professionnelle en danse, laquelle sera un temps jumelée avec l'Alvin Ailey Dance Center de New York, et qui surtout va former un nombre considérable d'artistes français aussi différents que Nacera Belaza ou Fauve Hautot ! L'hommage de cette dernière, s'adressant directement sur les réseaux sociaux à son professeur dont elle venait d'apprendre la disparition était touchant et significatif de l'influence de Rick Odums : « Ton invitation, ta générosité, tu m’as prise sous ton aile, tu y croyais, peut-être plus que moi. Merci de m’avoir ouvert la porte, sans toi, ma vie aurait été différente.» Cette activité pédagogique n'empêche pas une intense activité artistique dans toutes les directions : le cinéma, la télévision (un fameux Grand Echiquier de Jacques Chancel le 19 mars 1984) à l'occasion d'une émission consacrée à la chanteuse Julia Migenes Johnson avec laquelle il partageait à l'époque la scène du Palais des Congrès et des tournées en France. La cantatrice est alors au sommet de sa gloire médiatique pour le film Carmen réalisé par Francesco Rosi.
Mais Rick Odums chorégraphie aussi pour les danseurs académiques, ainsi Patrick Dupond (Song for you, 1989) dansé par exemple en gala au Théâtre des Champs-Elysées, ou Rudy Bryans. Il monte des pièces pour pour le Ballet National de Norvège ou l'Opéra de Dortmund, etc...). Il chorégraphie surtout les parties dansées de La vie en bleu, la comédie musicale mise en scène par Robert Hossein créée à l'Opéra de Monaco puis au Théâtre Mogador en 1997. Cette collaboration va se prolonger pour plusieurs spectacles dont Jésus La Résurrection, puis On achève bien les chevaux, et Une Femme Nommée Marie. Il chorégraphie surtout pour sa compagnie, Travaux d'homs ? Quel chantier !! (1995), Voiles de silence (1990), Sister Jones ou Sketches of Miles (1996), autant de pièces qui approfondissent cette inspiration entre danse afro-américaine et danse contemporaine française, mais qui accroissent le fossé avec les tutelles plus tournées vers des univers plus spéculatifs ; d'où une certaine amertume qui s'exprimait : « Je ne suis pas un farouche défenseur des anciennes valeurs comme certains voudraient essayer de le faire croire. J'ai été l'un des premiers à introduire des mouvements de hip-hop dans mes chorégraphies bien avant que la danse contemporaine ne s'y intéresse et ne le revendique comme son domaine réservé, ainsi qu'elle l'a toujours fait d'ailleurs avec l'adjectif “contemporain“ ».(Eliane Seguin, op cit, p264)

D'autant que Rick Odums s'est toujours beaucoup investi dans la vie professionnelle. Avec Didier Lockwood, un véritable copain avec lequel il a partagé des pièces d'improvisation, il a siégé près d'une décennie au Haut Conseil de l’Éducation Artistique et Culturelle. Nommé Chevalier des Arts et des Lettres en 2006, il a contribué à bâtir le Diplôme d’État de professeur de danse jazz à la fin des années 80, et a été un moteur essentiel de la création du DNSPD jazz au début des années 2010 (Diplôme National Supérieur des Professionnels de la Danse). On le trouve aussi, en janvier 2006, parmi les membres fondateurs du Syndicat Chorégraphes Associé.e.s et il était présent dès qu'il fallait défendre la danse jazz. Mais la fermeture des locaux parisiens de l'IFPRO et l'abandon de la formation professionnelle, en 2021, le mettent un peu à l'écart. Lui qui avait très tôt intégré le hip-hop a sa taxonomie jazz n'était plus reconnu par les jeunes chorégraphes comme une source d'inspiration ; pourtant, avec Matt Mattox, Reney Deshauteurs, Jacques Alberca entre autres, il a représenté une étape fondamentale de l'émancipation de générations de danseurs vers une « autre » danse.
Philippe Verrièle
Catégories:















Add new comment