Montpellier Danse : « Sujets » de Sylvain Huc
Sobre, discret, opiniâtre, le chorégraphe toulousain jusque là méconnu s'impose comme l'une des révélations de l'édition 2018 du Festival Montpellier danse.
Il s'est passé qelque chose de passionnant, avec la généralisation du nu sur les scènes chorégraphiques depuis deux décennies. Croyait-on, jusque là, que le nu – perçu comme virginal, ou au contraire transgressif – était un élément de nature s'opposant frontalement au régime de la culture (elle, habillée) ? Il a alors fallu se rendre à l'évidence : un corps humain est produit de culture, non un bout de nature qu'il faudrait continuer de traîner avec soi. Il n'y a pas deux visions semblables du corps nu. Lequel peut revêtir une infinité de significations (états, valeurs, références, projections, constructions).
Les cinq danseurs.es (trois hommes, deux femmes) de Sujets apparaissent d'emblée nu.e.s, sur un plateau qui l'est tout autant, dans une lumière à l'état de bain, qui s'abstient de rien accentuer. Cette pièce était créée par Sylvain Huc, chorégraphe toulousain, à la faveur du volet conséquent que la dix-huitième édition du Festival Montpellier danse consacre à des artistes en région (à l'heure où l'ancien Midi-Pyrénées et l'ancien Languedoc-Roussillon, en train de fusionner, apprennent à se connaître).
Galerie photos © Laurent Philippe
Comment caractériser la nudité dans Sujets ? On la dira très sobre, à l'image de ce qui émane généralement de la personnalité de ce chorégraphe. Juste un état, une évidence, donnée de l'être en soi. On s'égarerait, à lui chercher beaucoup d'autres intentions, qui seraient d'ordre sémiotique, anthropologique, conceptuel, érotique, ou autre. Néanmoins elle interpelle, et on s'obstine à y projeter une hypothèse de signification. Pour notre part, elle ferait constat d'humanité renvoyée à ses fondements, pour tisser ses relations d'altérité constitutive : aux autres bien entendu, au monde généralement, mais à soi également. Tout cela comme activé à portée de peau.
Ces " sujets" seraient occupés à s'auto-sculpter dans la glaise de leurs inter-relations. C'est une activité patiente, qui procède par expansions, amalgammes et coulées. Soutenu par une implication profonde des regards, le groupe résonne sourdement, tout à l'écoute corporelle. Rien ne s'y emballe. La rhétorique gestuelle demeure réservée. Il lui est préférée une dynamique de relevés consentis à la pesanteur, d'enveloppés et de déroulés, d'aimantations, de répliques, contaminations et déteintes.
Galerie photos © Laurent Philippe
La densité de cette matière dit un tâtonnement dans le projet opiniâtre de s'auto-inventer en humanité, où les parties de corps s'attachent, s'enchevêtrent, s'accumulent, s'encastrent, s'articulent. Une micro-société paraît oeuvrer au terrassement de ses principes constitutifs. Dans la retenue, cette masse intelligente dépose ses traces, qui s'impriments et résistent dans le regard. Sujets s'élabore entre volutes et démembrements. On y ressent l'écho, assez inquiet, de la complexité d'être. En tout cela, rien d'anodin.
Gérard Mayen
Spectacle vu le samedi 23 juin au Théâtre de la Vignette dans le cadre du 38e festival Montpellier danse.
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