Montpellier Danse: Montanari continue, le festival change
Bilan de la 39e édition: De bons chiffres et la danse du continent américain dans tous ses états.
Nous étions le lendemain de la création mondiale d’Infini (en fait encore un travail en cours) de Boris Charmatz, une pièce où les danseurs ne cessent de compter, du début à la fin du spectacle. Il était donc logique de voir Charmatz dans l’audience le lendemain matin, quand le voile fut levé sur les comptes de la 39e édition du festival, d’autant plus que ces comptes furent bons : 35.000 spectateurs pour 24 spectacles et 42 représentations payantes, 970.000 € de budget artistique (celui-ci étant couvert à hauteur de 450.000 € par la billetterie), 95% de remplissage global et 136 emplois générés par le festival. S’y ajoutent, en allant plus dans le détail, presque 100.000 € de mécénat dont 60% en provenance de la Fondation BNP Paribas.
Côté fréquentation, le taux d’occupation global de 95% se compose de 24.000 billets vendus incluant 2.500 billets à 5€ (jeunes et minima sociaux). En isolant les spectacles présentés au Corum (Cunningham, De Keersmaeker…), le taux de remplissage était de 97 %, « un score jamais atteint avant » selon Jean-Paul Montanari. De quoi alimenter un peu plus la fierté de se trouver à Montpellier: « Si vous additionnez les recettes de Montpellier Danse et du Printemps des Comédiens, vous ne tombez pas très loin des chiffres du Festival d’Avignon ». Le Corum représente 53% des places à vendre avec 1.800 places par représentation, mais il occasionne aussi des frais de location à hauteur de 380.000 € ou 12% du budget annuel de Montpellier Danse ! Ce pari vertigineux oblige à choisir des compagnies à ranger dans la catégorie des valeurs sûres et sans grandes surprises esthétiques, « avec la meilleure qualité possible. C’est la partie la plus difficile de la programmation et un défi permanent » pour Jean-Paul Montanari.
L’histoire de la danse, pourquoi et jusqu’où ?
Si les chiffres occasionnent un bilan, l’artistique appelle à tirer des conclusions. Sauf que l’exercice est impossible, personne ne pouvant suivre l’édition de bout en bout - à l’exception évidente de l’équipe du festival. Dans l’exercice annuel d’un festival à deux volets – l’un confirmant les grands noms de la danse et l’autre permettant de découvrir des renouvellements esthétiques – se dégageait pourtant un fil rouge autour de l’histoire et de la mémoire de la danse, un choix assumé et défendu avec fougue par Montanari : « A quoi ça sert d’avoir de la mémoire? Est-ce qu’il est nécessaire de remontrer des œuvres de Cunningham sur un plateau? Je vous laisse juge de ça. Je sais que certains journalistes ont trouvé ça vieillot. J’aimerais bien vieillir aussi bien que Merce Cunningham jusqu’à 90 ans. »
Alors, cette 39e édition était-elle un festival nostalgique ? Pas forcément. Plutôt une manière d’interroger la danse américaine dans toutes ses facettes. Sur le continent américain, du nord au sud, Montanari voit apparaître « une nouvelle esthétique, le plus souvent portée par des non-blancs », issus de l’immigration. Au cours du festival se sont donc affrontés l’ancienne et la nouvelle danse américaines, parfois en même temps et donc comme pour boucler une boucle. Il arriva que dans une salle Anne Collod présenta ses Moving Alternatives consacrées aux racines de la danse américaine [lire notre critique] alors que dans une autre, se produisait la Montréalaise (d’origine haïtienne) Dana Michel avec sa nouvelle création Cutlass Spring. La présence des pionniers était donc aussi un hommage à la nouvelle génération, « tous ces enfants d’immigrés avec lesquels quelque chose d’autre est en train d’apparaître dans la modernité. »
Curiosités américaines
Cette nouvelle curiosité de Montanari se construit sur l’héritage d’une autre, fondatrice: « J’ai été très attaché à la danse postmoderne américaine. C’est sans doute elle qui m’a amené à m’intéresser de près à la danse. C’est en découvrant Trisha Brown et Merce Cunningham que je me suis dit que la danse était un art majeur et qu’elle avait quelque chose à dire que les autres arts n’avaient pas encore dit, quelque chose qu’on avait besoin d’entendre il y a quarante ans. Et cette danse a beaucoup joué pour les jeunes créateurs de la nouvelle danse française. »
Et Montpellier Danse se renouvelle en prenant un petit virage : « A une époque, je ne jurais que par l’écriture chorégraphique. Ce sont peut-être des gens comme Dana Michel qui me font changer d’avis. Laurent Goumarre a travaillé à nos côtés pendant un grand moment pour introduire cette nouvelle génération et cette nouvelle danse et je commence à sacrément aimer cet aspect-là. » Chez certains, les Amériques se croisent en une seule personne, comme chez Dana Michel ou aussi chez Miguel Gutierrez que Montanari a vu répéter, en résidence dans un couloir d’hôtel à New York. Voilà qui peut transformer le regard sur la danse…
En 2020, la 40ème édition, et plus encore…
Les Amériques, voilà qui inclut aussi le Brésil, et notamment Lia Rodrigues. La fondatrice de l’école de danse de Maré à Rio n’a certes pas été présente au festival, mais Montanari n’oublie pas l’Amérique du Sud: « J’ai beaucoup de passion pour Lia Rodrigues et nous sommes en train de monter une grande opération de soutien pour elle pour la fin de 2020 », étant donné que la chorégraphe de Rio « travaille dans des conditions difficiles et dans un pays qui est désormais gouverné par un fasciste. »
Ce sera donc après le festival, dont certains noms sont désormais annoncés. Il y aura notamment une œuvre de chaque directeur du CCN Montpellier: Une reconstruction de So Schnell de Dominique Bagouet, un solo de Mathilde Monnier et une reprise de D’après une histoire vraie de Christian Rizzo. Pour la première fois, une pièce de l’actuel directeur occupera la scène du Corum. Et puis, Anne Teresa de Keersmaeker complétera son cycle sur Bach avec les Variations Goldberg, en dansant elle-même! Sans oublier Raimund Hoghe qui sera de retour et la crème des chorégraphes régionaux, « puisque cette année, il n’y en avait pas ». En 2020 donc : Fabrice Ramalingom avec une pièce pour quatorze danseurs, dont Jean Rochereau, un ancien de l’équipe de Dominique Bagouet. Et David Wampach, Michèle Murray, Baro d’Evel… Et Montanari aimerait bien faire durer le festival jusqu’au 9 juillet, histoire de faire résonner quelques chiffres montpelliérains particulier, le 9 juillet étant, « l’anniversaire de Dominique Bagouet et celui de Georges Frêche ».
Pas de bilan cependant sans la question de la succession, bien connue pour être le grand serpent de mer montpelliérain. Selon l’intéressé en personne, la question reste sur la table et pourtant entièrement ouverte, car « ce n’est pas à l’ordre du jour, mais c’est tout de même une préoccupation à laquelle je réfléchis tous les jours. Nous sommes en train d’avancer sur l’édition de 2021 et même un peu de 2022. J’aurai 72 ans à la fin de cette année et quelques mois après la 40e édition j’aurai donc 73 ans. Ca fait réfléchir.. et il y a aussi des élections municipales en mars/avril 2020. Et il y aura sans doute d’autres réflexions et propositions et je trouverai naturel et normal que d’autres choses s’enclenchent. Mais la 39e édition était déjà une forme d’adieu. Deux festivals ne suffisent pas pour dire adieu. Je ne sais pas combien il y aura. » Un petit clin d’œil à Boris Charmatz? Notre critique de son Infini est à trouver ici.
Thomas Hahn
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