"Mayerling" à l'Opéra de Paris
Un ballet digne d’Hollywood à l’Opéra national de Paris, signé par le grand chorégraphe britannique Kenneth MacMillan, met en scène l’histoire tragique de Mayerling avec des interprètes exceptionnels.
L’histoire de Mayerling s’inspire de tragiques faits réels survenus à la fin du XIXe siècle. Le 30 janvier 1889, l’archiduc Rodolphe – prince héritier du trône d’Autriche Hongrie (le fils de l’Impératrice Elisabeth (Sissi) et de l’Empereur François-Joseph) – et sa maîtresse, la baronne Mary Vetsera, se donnent la mort dans leur pavillon de chasse à Mayerling. La raison de ce double suicide reste à ce jour, énigmatique.
De sexe et de violence, voilà qui pourrait correspondre à Mayerling (1978) que l’Opéra national de Paris a fait entrer à son répertoire il y a tout juste un an. Mais cantonner cette œuvre à n’être que cela serait injuste. Car la vraie performance de Mac Millan est d’avoir réussi à créer un « ballet d’endurance » à la dimension cinématographique, digne des plus grandes productions d’Hollywood. Car c’est une vraie performance d’arriver à faire comprendre au public une intrigue aussi compliquée avec autant de personnages.
Et le chorégraphe y parvient non seulement avec un sens de la dramaturgie exceptionnel, conjugué au talent théâtral des danseurs et danseuses de l’Opéra de Paris, mais aussi par un lexique extrêmement travaillé qui « typifie » chacun d’entre eux, mais reste d’une complexité technique presque sans égale – d’ailleurs, on comprend, en regardant ce ballet de MacMillan, à quel point Rudolf Noureev a été biberonné au Royal Ballet ! La musique, réalisée par John Lanchbery, immense chef pour les plus belles partitions de ballet, à partir des œuvres les plus sombres et inquiétantes de Franz Liszt, réorchestrées de manière grandiose, soutient de bout en bout le récit, entraînant le spectateur dans les recoins les plus ténébreux de l’âme humaine.
Avec son découpage rigoureux des scènes, ses costumes dignes des séries historiques les plus prisées, nous nous retrouvons vite captivés dans les méandres de cette histoire dramatique. Mais c’est surtout l’engagement, la virtuosité, et l’extraordinaire travail de comédien des interprètes qui donnent toute son épaisseur à ce ballet au long cours.
Hugo Marchand, qui tient là un des rôles les plus difficiles du répertoire masculin tant du point de vue de la résistance physique – deux heures et quelques d’une chorégraphie diabolique – que de l’interprétation dramatique, est impressionnant. Il campe un Rodolphe déséquilibré, tant mentalement que corporellement en distordant légèrement ses pas, ainsi que passionné, emporté et cruel. Il brille non seulement dans la maîtrise des portés enchevêtrés, fougueux, âpres ou ceux, enragés, où il s’agit de rattraper sa partenaire in extremis, mais aussi dans des tours qui s’enchaînent et finissent par les figures les plus diverses, des sauts silencieux aussi rapides qu’exigeants.
Galerie photo : Natalia Voronova/OnP
Mais c’est surtout dans l’évolution de son personnage, qui apparaît totalement défait à la fin de l’ouvrage, égaré, hagard et désorienté qu’il souligne le destin tragique de cet archiduc fragile et désaxé.
Dorothée Gilbert, qui danse Mary Vetsera, est tout aussi étonnante dans l’ambivalence de son rôle, dont on ne sait si elle est aussi avertie, aguicheuse et perverse qu’elle le paraît, ou au contraire, si innocente et naïve au point d’ignorer ce que son corps suggère. Se coulant dans l’érotisme des mouvements de MacMillan, elle se déploie en cambrés extatiques et jambes sinueuses qui s’enroulent autour de Rodolphe, en portés aventureux, et acrobatiques, en étreintes fiévreuses.
Galerie photo : Natalia Voronova/OnP
Dans les « seconds » rôles, Hannah O’Neill en Comtesse Marie Larisch est absolument brillante, utilisant son bas de jambe, ses développés hyperboliques et ses piqués piquants comme autant de flèches séductrices. Héloïse Bourdon en Impératrice Elisabeth est merveilleuse d’élégance, de tenue, de force délicate. Chaque port de bras est un miracle de justesse, chaque arabesque un défi à l’équilibre, chaque regard un récit. Roxane Stojanov en Mizzi Caspar, la maîtresse du cabaret, a toutes les langueurs et le dynamisme que ce rôle suppose.
Galerie photo : Laurent Philippe
Quant Silvia Saint-Martin qui incarne ici la Princesse Stéphanie, peut-être l’un des personnages les plus difficiles à jouer, tant Rodolphe-Hugo Marchand la « maltraite » dans des portés d’où sourdent viol, violence inouïe, mépris auxquels elle doit faire face à la fois en se pliant aux désirs du Prince tout en étant totalement effarée et affolée est parfaite tant dans sa composition que dans sa maîtrise gestuelle, alors qu’elle doit se plier à des mouvements presque contradictoires, des embrassades brutales, des tours frénétiques, des chutes au sol périlleuses.
Côté hommes, on ne peut que saluer toutes les variations de Pablo Legasa (Bratisch), et ceux qui incarnent tour à tour les gentlemen, les officiers ou hommes de la cour, personnages énigmatiques et conspirateurs à la technique virtuose.
Que dire de plus si ce n’est que l’Opéra de Paris a eu raison de faire entrer ce « nouveau » grand ballet narratif (après L’Histoire de Manon, véritable succès du même MacMillan) à son répertoire !
Agnès Izrine
Le 26 octobre 2024, Opéra Garnier. A voir jusqu'au 16 novembre.
Distribution
Chorégraphe Kenneth MacMillan
Musiques de Franz Liszt
Arrangements musicaux : John Lanchbery
Costumes : Nicholas Georgiadis
Lumières : Jacopo Pantani
Rodolphe : Hugo Marchand Héritier de la couronne d’Autriche-Hongrie
Mary Vetsera :Dorothée Gilbert Fille de la baronne Helena Vetsera, amante de Rodolphe
Marie Larisch : Hannah O'Neill Comtesse, ancienne amante de Rodolphe et chaperonne de Mary Vetsera
Stéphanie : Silvia Saint-Martin Princesse, épouse de Rodolphe
François-Joseph : Léo de Busseroles Empereur d’Autriche-Hongrie, père de Rodolphe
Élisabeth : Héloïse Bourdon Impératrice d’Autriche-Hongrie, mère de Rodolphe
Mizzi Caspar : Roxane Stojanov Maîtresse de Rodolphe
Bratfisch : Pablo Legasa Cocher et ami de Rodolphe
Bay Middleton : Jeremy Loup-Quer Colonel, amant de l’impératrice Élisabeth
Comte Taaf : Arthus Raveau
Prince Philip Von Coburg : Cyril Choukroun
Archiduchesse Gisela : Camille Bon sœur de Rodolphe
Archiduchesse Valérie : Marine Ganio sœur de Rodolphe
Baronne Hélène Vetsera : Fanny Gorse mère de Mary
Princesse Louise : Bianca Scudamore
Compte Hoyos : Alexander Maryianowski
Loschek : Aurélien Gay
Catégories:
Add new comment