« Matka » d’Elizabeth Czerczuk
Une adaptation chorégraphique de la pièce phare de Witkiewicz : Exubérant et sensuel, comme sous influence d’opioïdes.
Officiellement, Elizabeth Czerczuk met en scène des spectacles de théâtre. Mais on ne verra chez elle ni Tchekhov, ni Racine, ni Sartre. Ni de quatrième mur. Son univers est celui de Grotowski et de Witkiewicz, pourfendeurs du théâtre psychologique, fascinés par les possibilités du corps.
Issue de la tradition du théâtre polonais du XXe siècle, Czerczuk s’est aussi formée en France, à l’école Marceau et à la Comédie Française, avant d’entamer une collaboration avec Karine Saporta.
Sa trilogie consacrée à Stanislaw Ignacy Witkiewicz est faite de spectacles aussi chorégraphiques que dramatiques. Dans Matka - la mère, en polonais - chaque tableau est placé sous l’enseigne d’un quasi-unisson mécanique, sensuel ou autrement enflammé. Six danseuses forment un corps de ballet surréel, jusque dans un bal macabre décliné en Cancan, comme dansé par des automates.
Dans Matka, Elisabeth Czerczuk donne voix à l’auteur, à travers une conférence étouffée et ironise sur son désir de « forme pure » par un théâtre chorégraphique singulièrement impur. Théories et manifestes de Witkiewicz surgissent de manière quasiment fantomatique. La « forme pure » reste un idéal qui ne cesse de produire le sentiment d’inassouvissement pré-existentialiste dans lequel baigne le couple femme-homme (mère-fils ou autres relations au choix) dans sa perte de la relation au monde.
Baroque, surréel et ténébreux, sur fond de tango contemporain, dominé par le noir et le rouge, Matka tient autant d’Artaud que de Lautréamont, d’une inspiration New Burlesque ou de l’esprit underground du butô d’Akaji Maro. Mais des ténèbres naît une vitalité paradoxale, comme dans une fête des morts à la mexicaine: L’ivresse d’un dernier tango, avant l’effondrement...
Pour suivre cette glissade sensuelle vers l’abîme, le public prend place sur un plan incliné déguisé en pelouse, un peu comme pour une représentation nocturne en plein air.
Mais la salle est bien un sous-sol parisien, dans le XIIe arrondissement, dans une salle librement modulable, où la scénographie s’adapte à chaque création, pour une expérience théâtrale et chorégraphique, irrévérencieuse et unique en son genre. Dans un théâtre à la décoration underground qui a tout pour devenir un lieu culte en soi.
Thomas Hahn
Spectacle vu le 12 mai 2018 au Théâtre Elizabeth Czerczuk
Mise en scène et chorégraphie : Elizabeth Czerczuk
Costumes : Joanna Jasko-Sroka
Décors : Damien Chutaux
Musique originale : Orchestre composé de Thomas Ostowiecki à la percussion, Karine Huet à l'accordéon et Benjamin Ducasse au violon.
Avec : Léa Bridarolli, Elizabeth Czerczuk, Aurélie Gascuel, Valentina Gonzales Salgado, Yann Lemo, Özge Pelin Tüfekçi, Zbigniew Rola, Sarah Pierret, Deáky Szandra, Jessie Toesca, Miguel Angel Torres Chavez.
Jusqu’au 27 mai 2018
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