Mathilda May : "je renoue avec moi-même"
Après avoir créé il y a trois ans sur cette même scène le remarquable Open Space , Mathilda May présente au Théâtre Jean Vilar, du 30 janvier au 8 février, le Trio Amala – Junior – Sly dans le cadre du 24e festival Suresnes cités danse. Entretien.
Danser Canal Historique : Comment est née l’idée de ce spectacle ?
Mathilda May : Lors d’une discussion avec Olivier Meyer autour de Sly Johnson, un musicien d’exception et beatboxeur de renom, qui compose uniquement à partir de sa propre voix samplée en direct. J’avais envie créer quelque chose avec lui. Olivier Meyer a alors évoqué les danseurs Junior, puis Amala, et nous nous sommes rencontrés tous les quatre. J’avais en face de moi trois formidables artistes, il m’a donc semblé que c’était un point de départ qui offrait quantité de possibles ! J’ai décidé de construire avec eux une pièce qui donnerait à voir leurs talents sans subterfuge, presque à l’état brut, pour la musique comme pour les corps.
DCH : Vous n’êtes pas chorégraphe. Où avez-vous puisé votre inspiration ?
Mathilda May : Ma formation première, bien avant le cinéma ou le théâtre, c’est la danse. Je l’ai pratiquée dès l’âge de 8 ans de façon intensive et j’ai intégré le CNSMD de Paris (dans la classe de Christiane Vaussard), dont je suis sortie première à 16 ans. J’ai même concouru pour le Prix de Lausanne, jusqu’aux demi-finales. J’ai ensuite fait un stage d’un mois au New York City Ballet, avant de travailler comme danseuse professionnelle, notamment au Ballet de l’Opéra du Nord, jusqu’à mes 20 ans. Puis je me suis retrouvée, à mon grand ennui, figurante sur la production des Indes Galantes au théâtre du Châtelet. J’ai alors accepté ma première proposition au cinéma (pour le film Nemo) et mon destin a basculé.
DCH : Aviez-vous un schéma préalable en tête pour cette création ?
Mathilda May : Je voulais réaliser un mélange d’écriture chorégraphique et de trame théâtrale. Le fil narratif est en quelque sorte la genèse d’un monde, depuis les origines jusqu’à la fin de son évolution. En partant de cette intention, j’ai suggéré aux deux interprètes une succession d’émotions ou de situations, à partir desquelles ils ont imaginé des enchaînements de gestes. Inversement, ils m’ont aussi proposé diverses situations, sur lesquelles je leur ai indiqué des mouvements.
DCH : Amala Dianor et Junior ont chacun des techniques de danse très spécifiques. Avez-vous joué sur ces différences ?
Mathilda May : Bien qu’ils pratiquent tous deux le hip-hop, ils proviennent effectivement d’horizons divers. Amala est un danseur debout, passé par plusieurs approches du mouvement : le hip-hop, mais aussi la danse contemporaine (au CNDC d’Angers) et la création chorégraphique, ce qui lui donne une ouverture particulière, notamment lors des séances d’improvisation. Junior, lui, a développé à partir de son handicap sa propre technique, éblouissante, et fait preuve d’une grande créativité. Pour moi qui adore les mélanges, c’était une alliance parfaite. L’un et l’autre utilisent l’espace de la façon la plus large possible.
DCH : Combien de temps avez-vous travaillé ?
Mathilda May : Nous avons eu seulement quatre semaines de répétition, mais dès la première séance, chacun était à un tel niveau d’excellence que tout semblait déjà presque abouti. C’était très impressionnant. Ma principale difficulté était de ne pas être figée dans l’éblouissement ! J’aime les artistes capables de ‘mouiller leur chemise’ et c’est pour cela que j’apprécie particulièrement de renouer avec le milieu de la danse, qui me semble de ce point de vue-là beaucoup plus exigeant que celui des comédiens. Il y a une notion de dépassement de soi qui appartient en propre aux sportifs et aux musiciens, en raison de leur maîtrise technique.
DCH : Dans quelle ‘couleur’ a été composée la musique ?
Mathilda May : Il s’agit d’une musique très écrite. Elle a été improvisée sur les mouvements des danseurs au fur et à mesure de la création de la pièce et elle est ensuite produite en live durant les représentations. Elle accompagne complètement les gestes des interprètes à la façon d’un voyage musical varié, fait de sound design - typique des films américains - produit ici pour la première fois à la voix, et d’ambiances sonores évoquant aussi bien le hip-hop, le vent et les chants, aux harmonies décuplées par le looper (technique de boucles répétitives).
DCH : Ce premier essai concluant vous donne-t-il envie de renouveler l’expérience ?
Mathilda May : Oui, j’ai eu vraiment l’impression, avec ce travail, de renouer avec moi-même. La danse est une école d’humilité qui préserve des écueils que l’on peut rencontrer ailleurs, comme la tentation d’attraper la grosse tête. J’ai coutume de penser que le talent, c’est 20% de don et 80 % d’effort, et c’est encore plus vrai dans la danse. Mais il s’agit d’un effort consenti, joyeux, ludique, un signe de vitalité. Je renoue avec cet univers tout en m’étant enrichie du sens de la narration et de la mise en scène apporté par le théâtre et par l’écriture, mon autre activité.
DCH : Après Open Space en 2013, le théâtre Jean Vilar de Suresnes est-il devenu le point d’ancrage de vos créations ?
Mathilda May : Open Space a été un moment magique. Olivier Meyer a été le premier à croire en cette pièce et en son succès. C’est un producteur au sens noble et large du terme, qui accompagne avec goût les projets qu’il choisit. La qualité de son regard, sa bienveillance, sa façon honnête et intelligente de suggérer telle ou telle direction sont très précieuses. En tant qu’artiste, on se sent soutenu et encouragé. C’est fondamental car la création est fragile, un œil malveillant peut la tuer dans l’œuf !
Propos recueillis par Isabelle Calabre
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