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« Ma Bayadère » de Jean-Christophe Maillot par les Ballets de Monte-Carlo

Dans cette création Jean-Christophe Maillot fait surgir tout un théâtre de passions où se mêlent ambition, désir et fragilité. En revisitant Petipa, le chorégraphe transforme la vie d’une compagnie en matière dramatique en brouillant les frontières entre répétition et représentation… Jusqu’à faire de la danse elle-même le lieu du drame.

Tout débute par un échauffement avant une répétition : décor sobre de briques grises, châssis recouverts d’une bâche et artistes chorégraphique en tenue de travail. On amène des portants chargés de costumes, une barre… le drame peut commencer. Car au fond, ces grands ballets du répertoire classique ont des accents shakespeariens et s’appuient sur des sentiments universels, l’amour, la jalousie, les rivalités, le pouvoir… Et comme une troupe de danse est d’abord un microcosme de l’humanité, voici tous ces affects réunis dans un précipité explosif. D’où l’idée de faire de Ma Bayadère – inspiré donc de La Bayadère de Marius Petipa (1877) – une sorte de condensé unanime de la vie d’une compagnie. Un thème qui hante Jean-Christophe Maillot depuis longtemps ( comme dans ce Casse-Noisette Compagnie, créé en 2013, [lire notre critique] et qui, généralement, comporte une dimension autobiographique. Ma Bayadère, avec de surcroît son article possessif, n’échappe pas à la règle et développe donc, dans son récit, une portée théâtrale revendiquée par le chorégraphe et un sens de la narration chorégraphique dans laquelle il excelle. L’histoire peut donc se résumer à : deux danseuses se disputent à la fois le titre d’étoile et le même homme qui n’arrive pas à faire un choix, le tout entraînant un terrible accident, qui ruine la création du ballet. Maillot noue si habilement les deux plans, incorporant – au double sens du terme ! – des pas du ballet d’origine à sa propre écriture chorégraphique qu’il brouille les frontières entre la danse et  la vie, ou entre rôle et identité, dans une illusion théâtrale parfaite. Les fragments de la version originelle s’insèrent dans son écriture comme des éclats de mémoire. Mais pour lui, comment séparer les deux ? Et si, dans l’œuvre de Petipa, la bayadère est une danseuse sacrée – sorte de Vestale dans la cosmogonie Hindoue – ici le feu sacré est caractérisé par la barre, cet accessoire indispensable de l’ascèse des danseurs.

Galerie photo © Alice Blangero

Et puis il y a la musique de Minkus, une partition composée de « numéros », assez peu intéressante mais qui agit comme un signe de reconnaissance ou un réflexe pavlovien chez tous les danseurs classiques du monde et les fait frissonner (sinon saliver !) et ici elle opère encore. Le chorégraphe tout en l’utilisant a eu l’intelligence de la faire régulièrement déchiqueter par la composition de son frère, Bertrand Maillot, ce qui allège considérablement l’effet « circus » de Minkus. L’Orchestre Philarmonique de Monte-Carlo dirigé par Garrett Keast servant avec brio ce melting-pot musical.

Galerie photo © Alice Blangero

L’écriture chorégraphique est aussi splendide que les danseuses et danseurs le sont. Niki-Juliette Klein avec ses bras sans fin et l’étirement raffiné de ses jambes jusqu’à la pointe est une pure merveille de connexion gestuelle, avec cette aptitude rare de continuité fluide dans la lenteur qui fait de chaque moment dansé un miracle d’apesanteur. Gamza- Romina Contreras d’une précision et d’une virtuosité diabolique, en est le contrepoint idéal, avec ses jambes d’une élégance exquise et la vivacité de ses pointes. Les danseurs ne sont pas en reste avec Solo – Inge Cornelis à la fois impétueux et souple, brillant et langoureux, Rajah – Jaat Benoot, le chorégraphe, Brahma – Michele Esposito, le maître de ballet, et Magda-Francesco Resch, ami de Solo, tous aussi étincelants que crédibles dans leurs rôles.

Galerie photo © Hans Gerritsen

Alternant emprunts à Petipa et même « La Danse infernale » à une reconstitution de Petipa signée Alexei Ratmansky, la chorégraphie déploie arabesques et développés, duo et trio d’une beauté et d’une complexité infernale, mais qui mettent si bien en valeur les corps déliés et musculeux des interprètes, et ensembles parfaitement composés qui évitent, avec finesse, les unissons en démultipliant, dans une seule scène, les points de vue. Sauts et tours émaillent d’accélérations ahurissantes cette dramaturgie dansée.
Il restait, à Jean-Christophe Maillot, un défi – et de taille !  – : trouver un équivalent à la fameuse « Entrée des Ombres », fantômes éthérés qui descendent du firmament dans un grand pas parfaitement réglé, où chaque ballerine avance dans une synchronisation parfaite avec sa prédécesseuse. Il a trouvé une solution remarquable, aussi simple que lumineuse, en faisant descendre chacun et chacune sans le moindre heurt, comme mû par enchantement.

Galerie photo © Hans Gerritsen

Les décors et costumes signés Jérôme Kaplan, ajoutent encore à la réussite de cette pièce, magnifiquement interprétée par les artistes des Ballets de Monte-Carlo dans une forme éblouissante.

Agnès Izrine
Vu le 27 décembre 2025 au Grimaldi Forum, Monaco. Jusqu’au 4 janvier 2026.
Première dédicacée à notre amie Kathy Playstowe

Distribution

Chorégraphie : Jean-Christophe Maillot

Assistante du chorégraphe : Bernice Coppieters
Musique : Léon Minkus (versions de John Lanchbery et Kevin Galiè)

Musique additionnelle : Bertrand Maillot

Scénographie et costumes : Jérôme Kaplan, assisté de Paul Kaplan

Lumières : Jean-Christophe Maillot & Samuel Thery
Dramaturgie : Jean-Christophe Maillot & Geoffroy Staquet 
Avec L’Orchestre Philharmonique de Monte-Carlo, direction : Garrett Keast

Interprétation
Niki, jeune danseuse : Juliette Klein

Gamza, danseuse Étoile : Romina Contreras

Solo, danseur Étoile : Ige Cornelis

Rajah, chorégraphe : Jaat Benoot

Brahma, maître de ballet : Michele Esposito

Magda, ami de Solo : Francesco Resch

Les 2 Amies : Ashley Krauhaus - Anissa Bruley
Les Danseuses : Lydia Wellington, Anissa Bruley, Ashley Krauhaus, Ekaterina Mamrenko, Kathryn McDonald, Ayhun Shin, Lucía Alfaro Córcoles, Portia Adams, Sooyeon Yi, Emilee Blake, Emma Knowlson, Candela Ebbesen, Cara Verschraegen, Isabelle Maia

Les Danseurs : Lukas Simonetto, Simone Tribuna, Alexandre Joaquim, Cristian Oliveri, Kizuki Matsuyama, Daniele Delvecchio, Kozam Radouant , Zino Merckx, Alvaro Prieto, Alessio Scognamiglio, Fraser Roach, Alejandro Moya Vaquero, Luca Bergamaschi

 

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