Liz Santoro, Pierre Godard & Pierre-Yves Macé : « The Game of Life »
June Events nous fait entrer dans The Game of Life, une création des chorégraphes Liz Santoro et Pierre Godard avec le compositeur Pierre-Yves Macé qui explorent le thème de la chimie entre les êtres dans leur environnement.
Connaissez-vous The Game of Life ? Inventé en 1970, par un professeur de mathématiques de Cambridge, John Horton Conway, Le Jeu de la vie le rendit rapidement célèbre et « ouvrit aussi un nouveau champ de recherche mathématique, celui des automates cellulaires. En effet, les analogies du jeu de la vie avec le développement, le déclin et les altérations d’une colonie de micro-organismes, le rapprochent des jeux de simulation qui miment les processus de la vie réelle. » Inutile de préciser que c’est un jeu plus que complexe, et que les « machines » qui en résultent, n’ont rien à envier ni aux « machines célibataires » du plasticien iconoclaste Marcel Duchamp, ni aux « machines désirantes » du philosophe Gilles Deleuze. Dans le cas de Pierre Godard et Liz Santoro, dont la compagnie est intitulée Le Principe d’Incertitude, et du compositeur Pierre-Yves Macé, il s’agit, dans cette pièce, de coupler ce « jeu » au code génétique qui comprend quatre lettres : ACTG et se déploie en 64 combinaisons de trois lettres (ou codons) comme pour The Game of Life.
Mais quel rapport avec une pièce de danse vous demandez-vous ?
Outre que cela produit un cadre formel et aléatoire, dont on ne pourra s’empêcher de faire le rapport avec les 64 hexagrammes du Yi King (ou I-Ching) chers au compositeur John Cage et au chorégraphe Merce Cunningham, c’est surtout que ces 64 unités fonctionnent comme un écosystème cellulaire autonome qui engendre ses reproductions ou ses mutations. Traduit en termes chorégraphiques, disons que le lancement du premier mouvement se répercute dans tous les mouvements qui vont en découler ensuite. Ceux-ci étant conditionnés par ce fameux code – ou codon – de trois lettres, soit pour les danseur.euse.s des mouvements avant/arrière, des latéraux, des verticaux (sauts) et des rotations, tandis que les cellules musicales sont commandées par les mêmes principes mais dans un mode plutôt rythmique.
Mais tout se complique encore, car aux trois interprètes dansants, s’ajoute un trio de musicien.ne.s (flûte, violon, percussions) qui utilisent le même langage et partagent une même partition faite de règles de transformations et mutations, mais qui sont imprévisibles puisque comme système autonome, les choix se font en temps réel et sont induits par la cellule ou le mouvement danse-musique précédent. Ce qui signifie que le spectacle sera différent chaque soir en fonction de l’agencement de ces fameux codons. Le tout est régulé par le rythme cardiaque des danseur.euse.s qui portent un capteur. S’y mêle toute une expérience de vie et de mort déjà comprise dans le jeu initial, vécue comme un labyrinthe à traverser.
Bien sûr, on peut voir le spectacle qui en découle comme une performance hyper formelle et plutôt ardue puisque chacun des interprètes (chorégraphiques ou musicaux) doit retenir les 64 combinaisons de codons et se souvenir de celles qui ont été déjà proposées en scène pour en obtenir une nouvelle.
Mais comme souvent avec Liz Santoro et Pierre Godard, la « machine » n’est pas si lisse qu’il n’y paraît. Une légère hésitation, un décalage, une incongruité même vient perturber cette organisation parfaite, ramenant dans le champ de l’humain cette mécanique bien huilée. L’ordre finit par générer le chaos, le volontaire l’improvisé. S’en mêlent alors des collusions sinon des collisions, un kaléidoscope gestuel et musical qui s’étoile à partir de la répétition de structures qui, pour sembler être les mêmes diffèrent totalement. Parfois, au contraire, ce sont des divagations poétiques et aventureuses, erratiques et sédentaires (comme certains animaux), déterminées et imprévues qui surgissent sous nos yeux, excédant par les corps et les sons des musicien.ne.s et danseur.euse.s ce que l’on croyait écrit d’avance. Ce grain de poussière dans le mécanisme est peut-être ce qui caractérise le mieux le travail de Liz Santoro et Pierre Godard, car il entraîne un « principe d’incertitude », (soit le nom de leur compagnie comme mentionné supra). Dans ce cas précis, c’est l’inattendu chorégraphique et musical, ces gestes apparemment simples, déclenchant des articulations de plus en plus incarnées qui permettent au spectateur d’apprécier ce spectacle d’une façon plus sensorielle ou sensible que radicalement scientifique. Et c’est bien. Car au finale, ne s’agirait-il pas plutôt du « jeu de l’amour et du hasard »?...
Agnès Izrine
Le 13 juin, Festival June Events au Carreau du Temple.
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