« Les Portes Pareilles » de Balkis Moutashar
Ça pourrait être un équivalent de Véronique Doisneau de Jérôme Bel. Intelligemment construite, cette chorégraphie montre une sorte d’envers du décor de la danse de cabaret, que seule pouvait se permettre Balkis Moutashar, à la fois danseuse contemporaine et interprète de music-hall. « Deux facettes très éloignées de l’art chorégraphique qui n’ont en commun que le statut de danseuse » remarque-t-elle.
On voit d’abord répéter avec sérieux deux danseuses (Balkis Moutashar et Lisa Vilret) une sorte d’algèbre de cette danse qui emprunte presque exclusivement au jazz. Bien sûr, il y a un petit déhanchement plus appuyé par ci, une façon de cambrer le bas du dos pour mettre en valeur les rondeurs, un sourire imperturbable, qui nous font vite comprendre la visée de cette répétition.
C’est franchement bien vu, et ça dissèque à merveille ce que l’on attend de ces danseuses, en montrant simplement la gestuelle qui est privilégiée. La façon dont se place le poids du corps, le rythme inexorable sur lequel se placent les mouvements, le choix même de ceux-ci, avec grands battements obligés.
Mais soudain, les voilà qui reviennent avec tout l’attirail, plumes, paillettes et strass, et qui reprennent cette chorégraphie un peu trop simple.
C’est à la fois fascinant et implacable. Malgré la nudité du décor, on se projette facilement au Lido, temple de ce genre de spectacles, où les filles défilent, inombrables.
Petit à petit, tout en conservant leurs mouvements de base, tout ça se met à déraper gentiment. Si les plumes sont bien d’autruche, la gestuelle fait signe vers d’autres oiseaux, jusqu’à rappeler plutôt des gallinacées. Drôle et tragique en même temps.
Fin de la séquence. Les revoilà au travail, on a enlevé les plumes, ôté gants et strass, mais les mouvements restent grippés, font signe vers autre chose, le bel ordonnancement s’effrite.
Quand elles remettent les plumes, on est passé dans le monde de l’absurde, sinon du grotesque, l’accessoire faisant surgir toute une fantasmagorie du totem, ouvrant un gouffre de questionnements sous les pas des danseuses. Car au final, Les Portes pareilles posent sans doute plus et mieux que nombre de spectacles l’énigme de l’identité que traversent les interprètes dansantes. À qui appartiennent donc leurs gestes, infiniment répétés, peaufinés ? Pourquoi ou pour qui les font-elles ? Qu’est-ce qui est « sexy » dans la danse ? Et dans leurs corps ? Où se niche le féminin ?
Interrogations que traversent sans doute d’autres danses, d’autres danseurs, même s’ils ne font pas de cabaret… mais qui restent souvent tapies dans le déni ou l’insu.
Les Portes pareilles est un spectacle très réussi, mené avec le brio d'une revue, tout à fait surprenant.
Agnès Izrine
10 au 20 juillet 2015 – CDC Les Hivernales, Festival Avignon OFF
Les Portes pareilles
Chorégraphie Balkis Moutashar
Interprétation Lisa Vilret et Balkis Moutashar
Musique Nicolas Cante
Scénographie Claudine Bertomeu
Lumières Bertrand Blayo
Costumes Balkis Moutashar
Développement de projet In’8 circle, maison de production
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