Les Pays-Bas terrorisés par le hip-hop ?
Trois danseurs marocains refoulés à leur arrivée dans l’espace Schengen, malgré des visas valides. Scandale ou normalité ?
A l’heure où le spectacle Danser Casa, interprété par huit danseurs hip hop marocains, tourne avec succès en France, et donc à l’intérieur de l’espace Schengen, une telle nouvelle est particulièrement douloureuse. Trois jeunes B-Boys, affiliés au collectif hip hop The Lions Crew de Casablanca, voulaient donc se rendre au battle Hype&Hope organisée à Utrecht, le 12 janvier dernier, aux Pays-Bas. Les visas leur avaient été accordés par le consulat néerlandais, leurs vols retour étant réservés et payés, ils devaient être hébergés chez des amis néerlandais et tout semblait en ordre. Après tout, The Lions Crew s’ ‘était produit en France plusieurs fois et avait remporté de nombreux battles sur le continent africain.
The Lions Crew en vidéo :
Mais non seulement se sont-ils faits refouler à leur arrivée à l’aéroport, non seulement ont-ils été retenus dans un bureau pendant dix heures, mais en plus la police aux frontières néerlandaises ne leur donna aucune chance de contacter les organisateurs du battle pour prouver le but de leur voyage. Au contraire, ils furent transportés en fourgonnette dans un centre de détention pour migrants clandestins comme s’ils étaient des terroristes potentiels et finalement, après cinq jours de privation de liberté, renvoyés au Maroc, leurs visas étant annulés. Et même dans leur propre pays, la police les prit d’abord pour des délinquants.
«Au départ, nous étions invités à un tournoi de danse prévu le 5 janvier. Comme les visas ne nous ont été délivrés que le 28 décembre et que l’achat de billets d’avion à quelques jours d’intervalle nous coûtait cher, nous n’avons pas pu y assister. Nous avons décidé de participer à celui prévu aux Pays-Bas à partir du 12 janvier pour représenter le Maroc, mais la police néerlandaise n’a pas accepté nos explications », ont-ils déclaré au média marocain Yabiladi. Le récit détaillé de cette mésaventure proprement hallucinante est à lire sur ce lien.
Rappelons ici que l’Espace Schengen porte le nom d’une ville néerlandaise, lieu de la signature cet accord de libre circulation des personnes - à condition qu’on veuille bien les laisser entrer, ne serait-ce que pour esquisser quelques coupoles et autres figures de breakdance. La mésaventure de Hamza, Omar et Ahmed souligne aussi à quel point la danse hip hop est toujours, aux yeux de trop de concitoyens et d’agents de l’état, comme synonyme de délinquance. Et pourtant, même la déconsidération artistique ne justifie en rien l’annulation de visas en règle.
Les trois danseurs du Lions Crew sont par ailleurs soutenus par la vaillante Maria Daif, ancienne directrice du centre d’arts L’Uzine de Casablanca, qui est non seulement coproductrice du spectacle Danser Casa [lire notre critique] mais aussi une militante en faveur de la possibilité aux artistes non-européens de pouvoir se produire dans l’Espace Schengen. En quoi elle est bien sûr soutenue par les directions des structures artistiques européennes qui mesurent le danger des entraves à cette partie essentielle du dialogue entre l’Europe et le reste du monde.
Les difficultés croissantes qu’éprouvent les artistes résidant hors de l’espace Schengen à se produire en Europe participe du repli sur soi qui contamine les sociétés occidentales. A un niveau plus officiel, et plus théorique, les autorités affichent pourtant encore leur bonne volonté. En effet, selon Yabiladi, une délégation néerlandaise était attendue au Maroc à la même période, pour réfléchir aux possibilités de dynamiser les échanges artistiques entre les deux pays. Et s’il suffisait de renoncer à les empêcher d’avoir lieu?
Thomas Hahn
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