« Les Oiseaux » festifs et fragiles de Lenio Kaklea
Les Oiseaux confirme l’intérêt de Lenio Kaklea pour la faune comme miroir de l’humain. En sources d’inspiration, elle cite ici Aristophane – Les Oiseaux, bien sûr – et Les Guérillères de Monique Wittig qui décrit une communauté féminine et combattante. D’où les attirails divers, légèrement dionysiaques et ethno-aviens ?
A voir le 17 novembre à Courtrai dans le cadre de Next Festival puis à Chaillot-Théâtre national de la Danse du 20 au 22 novembre.
126 km séparent Montpellier de Marseille – à vol d’oiseau. Il faudrait savoir en profiter, à travers la Camargue, pour y saluer aigles et hérons, flamants et faucons. Mais il faut laisser ce privilège aux vrais oiseaux. Lenio Kaklea et son septette d’interprètes ont migré vers la cité phocéenne juste après que l’œuvre soit sortie de l’œuf à Montpellier Danse. Et projettent déjà leurs envols vers Bruxelles, Los Angeles, Courtrai et Paris. Tant mieux, dira-t-on, le signe ne peut qu’être positif, quand les humains s’inclinent devant un genre qui a bien plus d’ancienneté sur la planète Terre que nous-mêmes. L’idée que les volatiles méritent toute notre empathie n’a plus rien de farfelu et nous sommes bien préparés pour les accueillir sur scène, que ce soit sous forme humaine ou animale.
Ces derniers temps, les chorégraphes ont beaucoup fait pour nous rapprocher des oiseaux, vivants ou imaginaires. Chez Luc Petton, de La Confidence des oiseaux à Light Bird, la coexistence dans les airs et sur le plateau n’a pas seulement nourri un imaginaire, ses créations inter-espèces étaient de vrais laboratoires philosophico-pratiques de la réflexion sur l’humain par la coexistence. Plus récemment, introduisant plus d’abstraction, Christos Papadopoulos s’est mis à questionner le phénomène de l’agrégation. D’origine athénienne (comme Kaklea par ailleurs), il part de l’individu et interroge, entre autres, la mystérieuse cohésion des nuées où tout le monde fait semblant de se ressembler.
Galerie photo © Laurent Philippe
Critique de l’Occident
Chez Kaklea, un tout autre son de cloche. Et pourtant, un désir commun semble réunir ces chorégraphes : Le désir d’utopie. Créer avec des oiseaux vivants, cela contient forcément une critique de l’humanité dans ses excès de zèle face à l’injonction biblique bien connue : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et soumettez-la. Dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre. » Et chercher, en tant que collectif, l’empathie avec les oiseaux en nuée – comme chez Papadopoulos – c’est mettre en question la domination humaine et questionner l’individualisme occidental.
Galerie photo © Laurent Philippe
L’utopie de Kaklea s’inspire de fables littéraires, de cités utopiques et satiriques (chez Aristophane) voire d’une sortie par le haut grâce à une féminité combative. Ces Amazones imaginées en 1969 – c’est tout un symbole – ne cessent d’inspirer les chorégraphes. Mais Kaklea verse bien peu dans l’adversité guerrière, sauf peut-être à un moment où les oiseaux guettent le public, y voyant peut-être une menace potentielle. Son microcosme avien reste pacifique et presque dionysiaque, à l’image des cités utopiques imaginées par Wittig et Aristophane. L’esprit satirique de l’Athénien en prime. Car Kaklea colorie ses volatiles humains de manière carnavalesque et les chorégraphie dans un va-et-vient entre environnement naturel – commentaires sur leurs comportements à l’appui à la manière d’un documentaire ornithologique – et réunion festive à l’instar des oiseaux-dieux imaginée par Aristophane.
Menace inattendue
La diversité et l’inventivité des costumes, comme l’expressivité du maquillage, rapprochent cette communauté si diverse des carnavals de Venise ou de Rio et de leurs bals. Ce n’est qu’ainsi qu’on saurait expliquer les multiples unissons, alors qu’on compte autant d’espèces aviaires que de danseurs.et que, dans la nature, les nuées sont des assemblées d’individus libres appartenant à une seule espèce. Rien à voir avec un corps de ballet qui n’obéit qu’aux chorégraphes. D’Aristophane aux ensembles de ballet, l’assemblée multiculturelle est une idée bien humaine.
Galerie photo © Laurent Philippe
Aussi les moments les plus authentiques et poétiques sont ici les solos, puisque c’est dans cette intimité qu’on se rapproche de véritables études comportementales et donc d’un imaginaire lié à une véritable altérité. Et Wittig dans tout ça ? La menace pour ces drôles d’oiseaux n’est peut-être pas tant le public que cet appareil bourdonnant qui soudain se balade au-dessus de leurs têtes. Un drone ! L’intrusion des hélices et d’une caméra dans les plaisirs de la société oisive a tout d’une métaphore de l’esprit actuel de l’occident.
Galerie photo Laurent Philippe
Produit et envoyé par l’humanité envers ces créatures satiriques fait planer au-dessus d’eux l’idée d’espionnage et d’harcèlement. Aussi ces oiseaux sont-ils encore davantage à notre image et leur fragilité devient la nôtre. « Soudain c’est l’ardeur du combat », lisions-nous plus tôt à l’écran panoramique où de sublimes images reflètent le ciel qui sépare la cité de ses divinités. Alors, à quelles batailles faut-il se préparer ?
Thomas Hahn
Vu le 5 juillet 2025
Festival de Marseille, KLAP Maison pour la danse
Budascoop Courtrai le 17 novembre 2025 dans lecadre du Next Festival
Chaillot-Théâtre national de la Danse du 20 au 22 novembre 2025
Chorégraphie et mise en scène : Lenio Kaklea
Performance et recherche chorégraphique : Nefeli Asteriou, Liza Baliasnaja, Amanda Barrio Charmelo, Luisa Heilbron, Louis Nam Le Van Ho, Dimitri Mytilinaios, Jaeger Wilkinson
Texte : Lou Forster d’après Les Guérilleres de Monique Wittig et Les chimères de Gérard de Nerval
Composition sonore et direction technique : Éric Yvelin
Scénographie : Clio Boboti
Lumières : Jean-Marc Ségalen
Costumes : Olivier Mulin
Assistante scénographe : Angeliki Vassilopoulou-Kampitsi
Réalisation décor : Angeliki Baltsaki
Interlocuteur scientifique : Thierry Aubin, Directeur de la Bioacoustique au CNRS, Université Paris-Saclay
Instructrice trapèze : Christina Sougioultzi
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