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Les Italiens de l’Opéra : Une histoire de la danse à Vaison-la-Romaine

Davvero ! La grande fête de la danse ne pouvait mieux tomber que cette journée d’avant l’orage. Ce fut une soirée on ne peut plus italienne, et pourtant on ne se trouvait ni à Rome ni à Vérone, mais à Vaison-la-Romaine. Un ciel étoilé, surplombant un amphithéâtre aux réminiscences antiques, et des températures qui tombèrent lentement sous les 30°C alors que deux mille personnes attendaient Les Italiens de l’Opéra avec leur « Nuit des étoiles » ! En voyant cet ensemble d’un soir se produire sur un plateau bordé de ruines antiques, le rêve italien était tout simplement parfait. Alors, comment le festival Vaison Danses piloté par Jean-François Heuclin pouvait-il jusqu’ici exister sans recevoir ces « Italiens »-là, si idoinement dirigés par Alessio Carbone ?

« Italiens » entre guillemets, pour dire que cet ensemble à géométrie variable, à l’origine un vrai fief transalpin au sein de la troupe du Palais Garnier, se présente aujourd’hui sous un jour très international. Chez Ludmila Pagliero – la danseuse étoile d’origine argentine est entrée à l’Opéra de Paris en 2003 – l’italianité appartient à ses ancêtres, comme chez la plus nouvellement nommée parmi les étoiles, Bleuenn Battistoni. Quant à d’autres – qu’ils s’appellent Hortense Maurin ou Théo Ghilbert (qui brillent de mille feux de joie en partageant le pas de deux Lise – Colin de La Fille mal gardée) ou encore Clara Mousseigne – la devise est aujourd’hui : Tous Italiens !

La raison est toute pragmatique. Vu les agendas ultra-chargés des vedettes du Ballet de l’Opéra parisien, Alessio Carbone doit tenir compte d’innombrables contraintes et faire preuve d’un maximum de souplesse. Et voilà qu’il se trouve, au lieu de danser, dans le rôle d’un chef de compagnie, voire d’un directeur de la danse qui compose, chaque fois à nouveau, troupes et programmes d’un soir. Aussi Les Italiens de l’Opéra sont devenus, au fil des ans, un ensemble cosmopolite !

Un duo, deux époques

Côté répertoire aussi, les frontières sont de plus en plus poreuses. Le programme composé par l’ancien Premier danseur de l’Opéra de Paris pour le grand gala cosmopolite de Vaison Danses a ouvert plusieurs portes sur le contemporain et la création :« Avec La Fille mal gardée, j'ai voulu ouvrir la soirée par le romantisme, pour ensuite dynamiser tout de suite avec Arepo de Béjart, inclure les morceaux de bravoure de Don Quichotte, du Corsaire et de Donizetti – pas de deux, qui font toujours plaisir au public, mais aussi des extraits beaucoup moins vus, comme La Méditation de Thaïs de Roland Petit, œuvre rarement présentée, parce qu'il faut des lignes comme celles de Ludmila Pagliero pour le faire, et il faut un partenaire comme Jack Gasztowtt qui assure. C'est la première fois qu'on le donne avec Les Italiens de L’Opéra et j’en suis ravi. »

Le public ne l’était pas moins, en suivant le jeune et rayonnant Gasztowtt (Premier danseur, et sans doute appelé à emboîter le pas à Guillaume Diop) dont les portés faisaient planer l’étoile Ludmila Pagliero dans cet extrait de Ma Pavlova.

On retrouva plus tard la même confiance, la même idée de complicité et de partage dans un subtil écho à cette méditation sur la vie. Ce pas de deux d’un style très actuel, c’était Unfolding de Simone Valastro, création mondiale rendue possible par le soutien de l’association Les Amis de Vaison Danses. Où la poésie prend des airs plus crus, où l’on peut se rouler au sol et traîner l’autre de ses bras, la rattraper quand elle s’effondre – comme en écho à Pina Bausch – mais aussi la porter (aux nues) comme pour faire remonter quelques souvenirs du couple imaginé par Roland Petit. En toute liberté : « C'est très ouvert, j 'aime bien que le spectateur puisse trouver sa propre interprétation. »

Dans Unfolding, le duo imaginé par Roland Petit semble se retrouver, presque quarante ans plus tard, pour revivre sa rêverie nocturne et ses portés poétiques à l’aune de la danse contemporaine, faisant face à un monde radicalement différent. « On a monté ce duo en une semaine et ça a été un vrai plaisir. En effet, quand on peut travailler avec une danseuse étoile comme Pagliero, tout paraît facile », se réjouit Valastro.

Et soudain, Brumachon

Les bouleversements du monde étaient d’autant plus sensibles qu’entretemps nous étions passés, avec le duo Giorgio Fourès/Alexandre Boccara, par Les Indomptés  de Claude Brumachon ! « J’ai profité du fait que la pièce est donnée par ce duo au sein des Jeunes danseurs de l'Opéra de Paris. A chaque fois qu’ils présentent Les Indomptés, ce duo fait l'unanimité. Par ailleurs, c'est aussi la pièce préférée de mes enfants ! » Et elle avait été dansée à l’Opéra de Paris dès 1997, à l’époque par Manuel Legris et Benjamin Pech.

Et le public, a priori venu pour admirer paillettes et pirouettes, a accueilli ce manifeste d’amour et de passion entre deux hommes avec un enthousiasme par lequel il a pu se surprendre lui-même. Au bout du compte le programme composé par Carbone illustre l’évolution de la danse, de Fokine (une Mort du Cygne  où chaque fibre du corps de Silvia Saint-Martin exprime l’intégralité du drame) à Béjart (Alexandre Boccara en solo comme incarnation de la puissance masculine à l’état pur) et aux regards les plus actuels sur la technique classique, dont l’impressionnant Les Bourgeois  de Ben Van Cauwenbergh, où Giorgio Fourès lie ses carrousels impressionnants à un formidable jeu théâtral, relevant toute l’ivresse ironique de Jacques Brel.

Et on sera passé par une approche subtile et légèrement distanciée du genre classique, avec Donizetti – Pas de deux de Manuel Legris où pauses, regards et instants prolongés font résonner une écriture contemporaine à l’intérieur des apparences romantiques. La finesse du couple Hortense Maurin – Nicola Di Vico ne tombe pas du ciel : « On essaie toujours de choisir des extraits du répertoire qui vont vraiment comme un gant aux interprètes en question », confirme Carbone.

De Noureev à Valastro

Bien sûr, il y a les classiques incontournables, comme les solos et duos de Don Quichotte de Rudolf Noureev, où on a pu mesurer la virtuosité de Bleuenn Battistoni, danseuse étoile depuis mars dernier. La voir dans ces figures emblématiques célèbres et célébrées dans le monde entier, c’est se dire que l’Opéra de Paris vient de couronner une de ses plus brillantes interprètes du XXIe siècle. Dans ses pirouettes finales, Battistoni fait comprendre ce qu’est un perpetuum mobile, tant sa rotation semble se nourrir d’elle-même.

La soirée touchant à sa fin, Battistoni revint pour un bouquet final d’une écriture radicalement différente. Le quintette Appointed Rounds confirme le talent de Simone Valastro, d’autant plus que le chorégraphe italien y change radicalement de registre. L’ex-danseur qui a quitté l’Opéra en 2021 mise ici sur l’énergie cinétique et le dynamisme des interprètes qui partent de la technique classique et inventent, avec le chorégraphe, « un langage qui est un statement » (dixit Valastro). Sur la musique vocale et répétitive et quelques extraits du célèbre O Superman de Laurie Anderson, les corps testent l’abandon dans la surpuissance. Et font entrer le jeune chorégraphe dans la cour des classiques sans jeter le ballet avec l’eau du bain : « Je puise dans la technique classique pour créer quelque chose qui soit moderne et en même temps cohérent avec les danseurs de l'Opéra de Paris et leur bagage extraordinaire. »

La carrière de chorégraphe de Valastro est au point de décollage, après un démarrage qu’il dit « pas très simple ni très rapide ». Car il quitta l’Opéra en 2021 et donc « justement pendant le Covid. » Mais tout semble finalement s’arranger : « J'ai pas mal de propositions en Italie et je vais créer ma version de Casse-Noisette au San Carlo de Naples, où je veux garder certaines parties classiques puisque c'est quand même un ballet iconique et qu’on ne peut pas faire quelque chose de trop contemporain. Et en France, je suis en discussion avec certains directeurs de compagnie. Il y aura bientôt de belles opportunités » – des opportunités de suivre un chorégraphe en train de faire ses armes.

Thomas Hahn

Vu le 20 juillet 2024, Théâtre antique de Vaison-la-Romaine, festival Vaison Danses

Programme « La Nuit des étoiles » :

Extrait de « La Fille mal gardée » Musique : Ferdinand Hérold, Chorégraphie : Joseph Lazzini, Interprètes : Hortense Maurin, Théo Ghilbert

Extrait de « Arepo »’Musique : Hugues Le Bars, Chorégraphie : Maurice Bejart,Interprète : Alexandre Boccara

Extrait de « Don Quichotte »Musique : Leon Minkus  Chorégraphie : Rudolf Noureev d’après MariusPetipa, Interprètes : Bleuenn Battistoni , Francesco Mura

« La méditation de Thaïs » Musique : Jules Massenet, Chorégraphie : Roland Petit, Interprètes : Ludmila Pagliero, Jack Gasztowtt

« Les Bourgeois », Chorégraphie : Ben Van Cauwenbergh, Musique : Jacques Brel, Interprète : Giorgio Fourès

 « La mort du cygne », Musique: Camille Saint-Saëns, Chorégraphie : Michel Fokine, Interprète : Silvia Saint Martin

Extrait de « Le Corsaire » Musique : Ricardo Drigo Chorégraphie : Marius Petipa Interprètes : Silvia Saint Martin , Théo Ghilbert, Clara Mousseigne

« Les Indomptés » Musique : Wim Mertens Chorégraphie : Claude Brumachon Interprètes : Giorgio Fourès, Alexandre Boccara

 « Unfolding » (Création mondiale) Musique : John Adams (« Christian Zeal and Activity ») Chorégraphie : Simone Valastro Interprète : Ludmila Pagliero, Jack Gasztowtt

« Donizetti – pas de deux » Musique : Gaetano Donizetti Chorégraphie : Manuel Legris Interprètes : Hortense Maurin, Francesco Mura

« Appointed rounds » Musique : Laurie Anderson Chorégraphie : Simone Valastro Interprètes : Bleuenn Battistoni, Clémence Gross, Silvia Saint-Martin, Giorgio Fourès, Alexandre Boccara

 

 

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