« Le récital des postures » de Yasmine Hugonnet
Un alliage rare entre rigueur d'écriture extrême et fantaisie libre et réjouissante.
Avouons-le. Il a pu nous arriver de rester à une certaine distance des pièces de Yasmine Hugonnet, pour ce qu'on pensait y trouver d'excès d'austérité. Alors on ressort l'oeil tout brillant à neuf, d'une découverte tardive de son solo Le récital des postures. Lequel remonte à cinq ans déjà. Evitons d'emblée tout malentendu : Le récital des postures paraît congruent avec les recherches poursuivies depuis lors par la chorégraphe. On n'est pas en train de suggérer qu'elle aurait ensuite malencontreusement dévié de cet essai.
Au reste, ce solo ne connaît guère de concessions. Il se déroule intégralement en silence. On ne lui trouve aucun prétexte narratif. Rien d'illustratif. La danseuse s'y montre dans un état de nudité quasi clinique. Aussi bien, tout cela peut dérouter. Or ce solo réjouit. Au coeur de la démarche de Yasmine Hugonnet réside une passion pour l'intériorité souterraine du mouvement, et pour la fine articulation qui débouche sur la figure. Tout le focus serait placé sur cette transition, voire transmutation. Il y a bien une image perceptible pour le spectateur. Mais un état d'alerte perceptive est maintenu sur ce qui se produit en amont.
On le captera mieux en le décrivant un tant soit peu. Yasmine Hugonnet adopte patiemment des postures. Celles-ci engagent toute la portée de son organisation corporelle. Elles paraissent parfois tendre vers les limites. Il y a de l'arc tensionnel. De la palpitation incarnée. Si le corps ne relevait que d'une articulation bio-mécanique selon les seules lois de l'équilibre, certaines de ces postures devraient céder, s'effondrer. Mais un corps est un complexe intentionnel, un système de projections imaginaires, une mosaïque vivante de plans d'intensités sensibles.
De la sorte, les dynamiques patientes qui animent les postures de Yasmine Hugonnet tendent à déplacer celles-ci, les repousser, les décaler, jusqu'au point où la tension va se résoudre dans une modification manifeste, sorte de déversement gravitaire et tensionnel, débouchant sur un nouvel agencement. La notion d'organicité est un lieu commun des discours de la danse, visant à évoquer, bien maladroitement, quelque chose qui tiendrait du brûlant, du viscéral. Or, c'est bien de l'organique qu'on pressent au travail dans les postures du récital de Yasmine Hugonnet. Mais alors un travail tranquille, logique et limpide, avec quelque chose du flux et de l'écoulement.
Mieux : c'est franchement une fantaisie, quasi ludique, qui teinte nombre de ses pas. Par exemple : des petits précipités, décalés, glissés et latéraux, furtifs et doucement endiablés. Il faut aussi parler de la stupéfiante implication des cheveux dans cette affaire. Yasmine Hugonnet les a plutôt longs. Et elle joue de subterfuges intrigants, insolites, voire incongrus, pour donner formes qui se tiennent à ces fines fibres, qu'on croirait ne rien pouvoir faire d'autre que pendre et flotter mollement. Les effets produits brillent de fantaisie (moustache, pyramide crânienne, au bord du comique). Pourtant on reste proche du coeur du propos, où la forme découle de vibrations intentionnelles.
Enfin, on n'en est guère plus éloigné, quand la danseuse se met à articuler des sons, et finalement produire tout un propos parfaitement audible, sans desserrer ses lèvres. Voici qu'elle se fait ventriloque. Croyait-on que cette technique ne relevât que de l'attraction de foire ?
Pour conclure Le récital des postures, cette séquence auditive alerte, fondamentalement, sur une fonction vocale qu'il faudrait percevoir comme un mouvement respiratoire, musculaire, articulaire déjà tout intérieur avant que de se manifester visiblement à travers bouche.
Au-delà de l'effet de surprise, voilà l'ouverture d'une magnifique question peu usitée, propice à une expansion du domaine du chorégraphique ; où la phonation, berceau du langage, jouerait au plus près de l'expressivité du mouvement, quand se combinent intimement des embrayages perceptifs et fictionnels. Sur ce, il faudrait relire Michel Bernard, philosophe de la danse.
Gérard Mayen
Spectacle vu le jeudi 14 février 2019 à l'Odéon (saison 2018-19 du Théâtre de Nîmes).
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