« Le Banquet des merveilles » de Sylvain Groud
Nous avons découvert en avant-première au Colisée de Roubaix la création de Sylvain Groud, Le Banquet des merveilles, qui « donne à voir et à entendre de nouvelles couleurs et de nouvelles musiques ».
De couleurs, on n’en discerne guère en début de pièce, tout en clair-obscur ou, si l’on veut, en valeurs noires et blanches. Idem pour ce qui est du son, qui nous fait lanterner avant de devenir musique, tant il n’est que bourdonnement, ronronnement, grondement, cela un bon bout de temps. La danse, cela semble aller de soi, se fait également désirer. Ce délai, ce report, cette procrastination cherchent à mettre en condition le spectateur. À le tenir en éveil, en alerte, aux aguets.
Le voile de lumière laisse percer le jour et le rideau de clarté finit par se lever, après nous avoir cachotté quasiment tous les danseurs – Agnès Canova, Mehdi Dahkan, Johana Malédon, Julien Raso, Cybille Soulier. Une fois tendu le gigantesque calicot, dont nous dirons un mot, arrivent les musiciens. De jardin et cour et de cour à jardin. Nous comprenons que la bande sonore est jouée live. Ce qui en soi est exceptionnel de nos jours. Avec le côté brut qui va avec et les imperfections, gage d’ici et maintenant.
Musique et danse se mêlent jusqu’à se confondre. Les musiciens, hors de la fosse d’orchestre où ils sont en général consignés, peuvent être pris pour des m’as-tu-vu. Ils sont au nombre de cinq : Yann Deneque (le saxophoniste et chef de bande), Julian Babou (à la basse et à la guitare), Cédric Gilmant (au tuba et au serpent), Antoine Marhem (au violon mais libre de ses mouvements) et Malik Berki, le frère de Farid (à la boîte à rythmes, celle-ci étant tenue en bandoulière pour lui permettre de bouger et de se montrer). Une fois sortis du néant, de l’anonymat, de l’invisibilité, les êtres rampants passent à la verticalité, à la danse debout. Et, à partir de là, la chorégraphie est, comme d’habitude, impeccable. Élégante, fluide. Plus que jamais, nous a-t-il semblé, les mouvements sont exécutés à l’unisson, en synchronie ou osmose avec les musiciens du collectif du Tire-Laine. La proximité ou fraternité entre danseurs et musiciens relève sans doute aussi de cet état d’esprit.
L’idée de se passer de décorum – de décor et d’art déco – n’était pas simple à réaliser. Grâce au talent et aux lumières – dans tous les sens du terme – de Michaël Dez, ce défi a pu être relevé. D’après les informations d’une collègue de bureau, la gigantesque draperie utilisée dans le cas présent provient d’une robe de Carolyn Carlson. Elle fait maintenant office de toile de tente pour sans-abri, de rideau(x) de scène, de sculpture cinétique. Elle figure ou représente toutes sortes de paysages et d’atmosphères – terrestres, océaniques et célestes.
La musique puissante, percussive, fanfaronnante, à base de cuivres, ornée de mélodies orientalistes est swingante, manouche, klezmer. Elle invite à la danse. Non seulement les intermittents du show mais, en deuxième partie de celui-ci, le public dans son ensemble. Les confidences des danseurs au micro évoquant des moments d’émerveillement vécus par eux, un peu à la manière bauschienne, le public entre en empathie avec la troupe. Il se joint volontiers aux festivités. Le banquet ou bouquet final a lieu dans le hall du théâtre.
Nicolas Villodre
Vu le 12 novembre 2024 au Colisée de Roubaix.
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