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« Le bain » de Gaëlle Bourges

La première pièce conçue directement pour le jeune public, d'une chorégraphe qui, hors conventions, laisse à frissonner des questions de genre et de désirs.

Les peintres sont des coquins. Ceux de la Renaissance se ruèrent sur la mythologie pour y dénicher les scènes de bain. Il n'en manque pas. C'était autant d'occasions de représenter de jeunes et jolies femmes toutes nues. En le disant comme ça, on est peut-être un peu rapide en termes d'analyse esthétique. Mais on rejoint ce ton impertinent et malicieux, qui caractérise l'entreprise – comme la personne – de Gaëlle Bourges. Dans toutes ses pièces, cette chorégraphe en passe par une mise en jeu des discours de l'histoire de l'art. Il s'agit alors d'y déceler les implicites, et révéler les liens qu'entretient cette discipline avec la construction d'un ordre établi de la représentation, reproducteur des rapports de domination sociale, sexuelle, et culturelle.

Il y avait quelque chose d'excitant à se dire que Gaëlle Bourges concevrait une pièce directement adressée au jeune public (après avoir mené à bien une adaptation dans ce sens, d'une pièce précédente, Lascaux). Cette nouvelle pièce s'appelle Le bain. Nul besoin d'avoir reçu une solide formation en art. Nous avons tous, engrammés au fond de l'oeil, des images de nymphes et déesses, antiques de préférence, se prélassant auprès de vasques, marres ou baignoires. Nul besoin d'avoir effectué une psychanalyse. Nous ressentons, engrammé au fond de nos chairs, le moment du bain enfantin comme celui des premières transactions, même innocentes, avec la nudité, la sensualité, dans les jeux et jubilations du toucher.

Reste que Le bain (la pièce de Gaëlle Bourges ainsi intitulée) n'est ni un manuel d'histoire de l'art, ni un manuel de prime initiation érotique. Comment amener ce thème à l'échelle d'enfants de six à douze ans ? La chorégraphe y reconduit l'un de ses principes les mieux éprouvés : celui du discours en voix off, par lequel elle décrit les tableaux qu'elle évoque, selon des modalités aussi instructives que bourrées d'impertinence critique.

Galerie photo © Danielle Voirin

A nouveau, cela fonctionne à merveille, par l'effet de distanciation qui se produit, entre l'action au plateau et le discours énoncé. Il s'y engouffre un appel imaginaire très stimulant. Les spectateurs enfants l'éprouvent aussi bien que les adultes. Ils aiment qu'on leur raconte une histoire. Ils adorent qu'on leur montre de l'action sur scène. Tout baigne.

De façon un peu incongrue, et tout à fait imprévue, le projet du Bain s'est trouvé percuté par l'impact de l'affaire Weinstein et autres #metoo. Ainsi les récits des mésaventures de Diane ou de Suzanne, surgies de l'antiquité pour être soumises à l'intrusion du regard masculin, sous les pinceaux de Clouet ou du Tintoret au XVIe siècle, fournissent-ils l'occasion d'échapper à la stricte injonction tryannique de l'actualité.

Restait la question délicate de la présence effective des corps en scène. Là encore, Gaëlle Bourges recourt à une dissociation qui crée la distance, par laquelle l'imaginaire embraye. Toutes les scènes données en récit sont restituées à l'aide de poupées, telles qu'on les achète dans les magasins de jouets.

Tour à tour très habillées (un splendide vestiaire de création originale), en petite tenue, ou nues, accompagnées d'accessoires de bains, de bijoux, bien d'autres choses encore, avec un côté boîte magique et coffre à malices, ces baigneuses sont disposées en tableaux évolutifs. Tout cela parle simplement à l'imaginaire enfantin.

Les manipulations – également des extensions et commentaires à travers corps – sont prises en charge par trois jeunes performeuses. Elles sont issues, entre autre, du formidable atelier chorégraphique qu'anime Isabelle Lamothe à l'Université de Poitiers, où Gaëlle Bourges fut invitée. Ces jeunes artistes échappent au modèle des formations homologuées en danse. C'est tonique.

Un beau déploiement est permis, entre les scènes miniatures, forcément un peu tenues, et des postures en pied symboliquement évocatrices des figures et péripéties les plus saillantes de l'action (quand par exemple le pauvre Actéon est transformé en cerf par Diane se vengeant). Une autre belle idée, dans Le bain, est de s'accompagner de la ritournelle de la chanson du Rossignol à la claire fontaine. C'est un fil clair, léger et apaisant.

Telle qu'on l'aura vue encore près de sa création, cette pièce nous aura semblé pécher en deux points : d'une part le raccord sec, non aménagé, entre les deux récits (celui de Diane puis celui de Suzanne), qui s'y succèdent sans autre forme de transition. D'autre part un surjeu de la rareté du mouvement dansé, celui-ci strictement circonscrit au deux acmés en conclusion tragique de chacun des récits. Il semble en découler un contre-sens, puisque "naturellement" les enfants adorent adhérer à cet entrain soudain, mais un peu comme s'il s'agissait de compenser une frustration par ailleurs.

Ces deux réserves mentionnées, Le bain fonctionne comme un éveil des formes, riche et délicat, d'un onirisme défiant toute niaiserie. Le bain s'accorde à la sensibilité de son temps, s'adresse à des enfants non réputés idiots par a priori, cela passant aussi par des questions de genre ou de désirs, tout en évitant de le leur asséner à la façon de thèses militantes, closes et univoques. Les enfants s'y réjouissent, par-delà les pesanteurs culturelles de leurs milieux divers. Le bain permet de toucher, donc de dire.

Gérard Mayen

Spectacle vu le 26 janvier 2018 (représentation scolaire), au Centre chorégraphique national de Tours  où Gaëlle Bourges est artiste associée.

Prochaines dates :
13, 14 mars, Armentières (Le Vivat).
15, 16 mars, Lens (La Scène – Louvre).
22, 23, 24 mars, Lille (Le Grand bleu).
29, 30, 31 mars, Paris (Atelier de Paris).
13, 15 avril, L'échangeur Château-Thierry – Festival Kidanse.
20, 22 avril, Le Sterenn (MJC Tregunc). 17 mai, Porgat (CCAS).
 

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