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La Norvège à l'heure du CODA Festival d'Oslo

Danser Canal Historique s’est rendu en Norvège, au CODA Oslo International Dance Festival. L’occasion de découvrir quelques chorégraphes de ce pays dont à faible densité démographique mais à fort potentiel chorégraphique.

 

Avec ses 180 chorégraphes et ses dix centres de ressources récemment ouverts, la Norvège tient une place importante dans le monde de la danse internationale. En France, on connaît surtout la Compagnie Carte Blanche (basée à Bergen) actuellement confiée à Hooman Sharifi et le chorégraphe Jo Strømgren. « Pourtant, même si on ne peut parler d’une tradition chorégraphique en Norvège, une Nouvelle vague de chorégraphes est apparue dans les années 90 » explique Marianne Albers, consultante à Dansinformatjonen dont les bureaux siègent à Dansens Hus, c’est-à-dire la Maison de la Danse à Oslo.

Le grand bâtiment de briques rouges, situé dans dans Vulkan, un ancien quartier industriel, comporte une salle de spectacle, un grand studio, et surtout, est le siège de toutes sortes d’activités en rapport avec la danse. Outre les traditionnels stages et master-classes, on peut y suivre des débats, les enfants peuvent y prendre des cours de danse, et surtout, c’est un lieu de production qui travaille et met en réseau des artistes nationaux et internationaux et présente entre 30 et 35 spectacles chaque saison. Le quartier, au bord de la rivière Akerselva est très sympathique. Il n’est pas très éloigné de galeries d’art contemporain, de lieux un peu underground…

« Il existe un système de tournées nationales portées par le National Stage for Contemporary Dance qui dépend de DansHus », explique Marianne Albers. « La plupart des chorégraphes sont indépendants, mis à part le Ballet national de Norvège et la compagnie Carte Blanche qui emploient de nombreux danseurs, mais les productions nationales reçoivent des subventions de l’Art Council. »

DanseInformatjonen est aussi une plate-forme qui permet de découvrir les chorégraphes norvégiens sur le net via http://www.danseinfo.no/.

Par ailleurs, il existe un organisme qui rassemble différentes institutions qui relèvent de l’Etat. Il s’afit de Performing Arts Hub Norway. Fondée en 1977, cette organisation, subventionnée par le ministère de la Culture, collabore aussi avec le ministère des Affaires Etrangères pour aider les compagnies à être programmées à l’étranger, mais aussi avec l’Arts Council et les aide à tous les niveaux des problématiques qui se posent pour une compagnie indépendante (formation continue, droits, organisation, etc.). Ce sont eux qui choisissent les artistes qui peuvent relever de tel ou tel programme. Les compagnies doivent défendre leur dossier devant une commission. Il n’y a aucun automatisme et ceux qui peuvent en bénéficier sont renouvelés tous les quatre ans. « On les incite à chercher des fonds par eux-mêmes, indique Madame Tove Bratten, mais surtout on les aide à se produire à l’étranger. Par exemple, on les envoie à Tanzmesse car ils peuvent y rencontrer des producteurs internationaux, et depuis quatre ans, au Satellite Meeting à New York qui est un marché gigantesque. C’est un peu trop commercial mais cela entraîne les artistes à savoir se promouvoir. Et bien sûr, s’ils trouvent des dates de tournée à l’étranger nous pouvons financer leurs voyages » Du coup, on peut rencontrer des artistes norvégiens à Moscou comme au BAM de New York, ou ailleurs. « Mais ils ont beaucoup de dates aux USA » fait remarquer Tove Bratten.

Enfin, il existe une sorte de système d’intermittence qui indemnise les artistes pendant deux ans (mais cette durée s’allonge quand elle alterne avec des périodes de travail, comme en France) : Acteur et danseur Alliance (voir https://skuda.no/)

Au CODA Festival, dirigé par Lise Nordal, qui s’est tenu du 14 au 25 octobre nous avons pu apprécier quelques uns de ces chorégraphes norvégiens aux styles et aux esthétiques extrêmement divers.

Le Festival a généralement un thème, nous a expliqué Lise Nordal. Cette année, il portait sur les identités et leurs lisières. Celles-ci concernant tout autant les origines ou les nationalités que les genres ou même l’hétérogénéité des techniques.  Le festival présentait donc un mélange très personnel de différentes traditions de danse, de formes émergentes, et d’héritages performatifs. On pouvait en effet y voir à côté du Ballet national de Norvège qui présentait deux pièces de Forsythe et une d’Alan Lucien Øyen, des danses issues du chamanisme lapon, une pionnière de la danse contemporaine norvégienne avec un danseur indien, mais aussi toutes les formes de métissages avec des artistes comme Nacera Belaza, Chris Haring, les libanaises Mia Habis (danseuse) et Cynthia Zaven (pianiste) avec Øyvind Skarbø, batteur norvégien, et bien d’autres… Nous n’avons pu voir Hetain Patel (indo-britannique), qui joue sur les identités et les communautés d’une pop-culture à l’heure de You Tube, mais nous avions déjà vu Opening night a vaudeville de Mark Tompkins !

Les spectacles

Première plongée dans la tradition avec Jorggállan de Elle Sofe Henrikssen. La performance prend l’aspect d’une réunion chaleureuse où l’on sert thé, café et pain d’épices, pendant que sont évoqués les danses anciennes récoltées auprès de gens âgés de la tribu des Samis, qui apparaissent en vidéo.

La pièce suivante intitulé Leakhit est aussi une référence aux Samis puisque le titre signifie être présent dans leur langue. Sur scène, un danseur époustouflant, Hallgrim Hansegård et Torgeir Vassvik, un musicien traditionnel Sami très connu. L’alliance des deux est surprenante. Sous des lumières très découpées, le premier évolue dans des torsions lentes et des accélérations fulgurantes, tandis que l’autre le provoque avec des frappes très rythmiques. Finalement, on retrouve peu à peu le vocabulaire montré par les anciens dans le précédent spectacle, notamment des sauts sur place, jambes repliées qui font penser aux figures du Sacre du printemps version Nijinski. Bientôt, Torgeir Vassvik se lance dans des chants chamaniques, c’est prenant et archaïque, tandis que le danseur très acrobatique, semble emprunter à tous les styles, y compris au hip hop ou aux derviches tourneurs. Il faut dire que ces spectacles étaient donnés au Riksscenen, un théâtre spécialisé dans le folklore de toutes les parties du monde.

Photos: Cathrine Dokken


Direction l’Opéra d’Oslo. Une magnifique structure de verre et d’acier, tout en transparence, ouvrant sur la mer, mais surtout, avec un aménagement intérieur de bois clair à couper le souffle. C’est un bâtiment magnifique qui accueille à part égale l’Opéra et le Ballet, ce qui est plutôt rare, pour ne pas dire inexistant chez nous, et qui mérite à ce titre d’être signalé.

Le Ballet national de Norvège, dirigé par Ingrid Lorentzen,  y présentait un  programme intitulé Back to the future (un clin d’œil puisqu’il était programmé le 21 octobre 2015 !) composé de Steptext et One Flat Thing Reproduced de Forsythe et d’une création de Alan Lucien Øyen, artiste résident au Ballet national de Norvège, Timelapse.

Nous ne reviendrons pas sur les pièces de Forsythe, déjà amplement commentées, sinon pour dire que le Ballet national de Norvège y déploie toute sa virtuosité.

Timelapse d’Alan Lucien Øyen est une pièce brillante sur la nature même du temps.

Photos : Erik Berg

D’une fluidité rare, comme prélevé dans la matière d’un mouvement continu, tout en accélérations et suspens, la chorégraphie induit le sentiment d’un indéfiniment provisoire et précaire. Les danseurs évoluent comme des signes passagers dont le sens éternel nous échape. Apparaissants dans un décor de bois clair et tendre dont les panneaux en constante révolution remodèlent l’espace, il crée une sorte de paysage abstrait, sorte d’antichambre d’un futur incertain. Dans cette infinie flexion, la gestuelle s’éploie selon une ligne qui combine l’espace et le temps qui passe, tandis que l’actrice Clair Constant dit un texte écrit par Alan Lucien Øyen qui nimbe l’ensemble d’une certaine nostalgie.

Dans une salle plus petite de ce même opéra, était présenté un double programme réunissant Daniel Proietto et Sølvi Edvardsen, deux chorégraphes du pays, même si le premier est d’origine argentine.

Daniel Proietto, danseur du Ballet national de Norvège et artiste invité dans nombre de compagnies, y compris celle d’Alan Lucien Øyen, Winter Guest, est aussi un chorégraphe reconnu internationalement. Il a créé pour cette édition du festival CODA : Woman. Inspiré du célèbre roman de Virginia Woolf, Une chambre à soi et de textes de Vita Sackville-West, un texte, adapté et dit par Kate Pendry, soutient l’atmosphère sombre de ce trio féminin.

Photos :  Erik Berg

Tout y parle de désirs contrariés, d’enfermement, de lisière de la folie. Abordant les thèmes de l’homosexualité, de la mise sous tutelle des femmes, le chorégraphe dessine une sorte de huis-clos, avec une gestuelle tout en torsions et déchirements, soutenue par une très belle scénographie minimaliste, qui laisse penser que l’on entendra bientôt parler de ce jeune artiste.

Pendant de ce Woman, Man de la chorégraphe pionnière de la danse contemporaine en Norvège, Sølvi Edvardsen qui fêtait justement ses 35 ans de carrière.  Fruit d’une collaboration avec le danseur indien Sudesh Adana, Man met en scène cet exceptionnel danseur. Volontairement contraint dans un espace resserré, Sudesh Adana, homme de grande taille et plutôt « baraqué » apparaît dans un costume noir. Sølvi Edvardsen lui a concocté une gestuelle éminemment masculine, mais sans une once de machisme ou de typification caricaturale.

Ça tient plutôt à la façon dont son grand corps se déploie, l’angularité de ses gestes, et leur rythme plutôt rapide, actif. Il n’y a aucun temps mort. La deuxième partie se concentre sur des mudras issus de la danse indienne, véritable langage des mains, qui ponctue la biographie (parlée) de Sudesh. Mais bien sûr, ces mudras sont mixés avec un point de vue plutôt occidental, voire des gestes quotidiens exacerbés par la célérité d’exécution du danseur. C’est un beau portrait de « male dancer » comme le dit la langue anglaise.

Pour nous, c’était la fin de ce festival, riche en propositions diverses, qui nous a surtout permis de découvrir des chorégraphes norvégiens encore inconnus en France et dont nous espérons qu’ils seront bientôt programmés dans l’Hexagone.

Agnès Izrine

À suivre : Entretien avec Lise Nordal, directrice du Festival CODA

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