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À l'Onde de Vélizy, Pietragalla & Derouault présentent leur(s) "Giselle(s)" : entretien

Ce chef-d'œuvre du ballet romantique est revisité par le duo Pietragalla-Derouault dans une chorégraphie contemporaine et engagée pour cette relecture féministe avec dix-sept danseurs. Nous les avons rencontrés.

Danser Canal Historique : Comment vous êtes-vous répartis sinon les rôles du moins les tâches, entre Julien Derouault et vous ?

Marie-Claude Pietragalla : En général, nous travaillons dans tous les domaines en commun. C’est notre marque de fabrique : nous n’avons pas de domaine de prédilection. Nous tombons d’accord sur le thème, sur le synopsis, sur la façon de traiter la pièce. En l’occurrence, l’histoire de Giselle. Ensuite, cela se fait naturellement, aussi bien les auditions pour le casting, le choix de nos collaborateurs pour les costumes, les décors, la lumière. Nous travaillons avec une équipe qui sont maintenant des fidèles même s’il nous arrive de collaborer ponctuellement avec d’autres spécialistes. Nous n’avons pas de chasse gardée, que ce soit pour la chorégraphie ou pour la distribution. Pour Giselle(s), nous tenait à cœur de transposer ce ballet romantique dans notre monde contemporain.

Nous avons tenu à ce qu’il n’y ait pas une seule Giselle mais plusieurs et aborder ainsi le thème des violences conjugales, des violences faites aux femmes. Nous avons interrogé la Giselle du XIXe siècle. Nous considérons plusieurs couches sociales, différents âges, quatre couples contemporains très différents et nous suivons les méandres de la vie de ces hommes et de ces femmes. Le premier acte dépeint le cheminement qui conduit à la trahison par l’amour. C’est le thème de Giselle, que j’ai toujours trouvé d’une grande violence dans le ballet romantique puisqu’il mène à la mort. Cette Giselle est transplantée dans notre monde actuel. Elle recrute des jeunes femmes pour en faire une armée de Wilis au deuxième acte. Des combattantes, des amazones contemporaines. Leur corps s’est libéré du carcan du tutu, elles sont pieds nus, dans la terre. C’est un Giselle d’après.

DCH : Quel rôle jouez-vous dans Giselle(s), Julien Derouault ?

Julien Derouault : Dans cette pièce, j’interprète l’un des protagonistes d’un des couples. Nous savons que les violences intraconjugales se produisent à tous les niveaux sociaux possibles. Nous avons pris l’exemple de quatre couples. Je fais partie du ménage le plus âgé, le plus élevé dans la pyramide sociale. Des gens aisés financièrement, économiquement, qui ne se parlent plus. L’homme y exerce davantage une emprise sur la femme, qu’une violence physique. Dans ce couple, cette domination va conduire au drame. La partenaire de mon personnage va finir le premier acte en se suicidant.

DCH : Quelles sont vos versions préférées de Giselle ?

Marie-Claude Pietragalla : J’en ai interprété plusieurs versions, celle de Patrice Bart et Eugène Polyakov ; la mienne, quand je dirigeais le Ballet de Marseille ; et je suis allée danser dans une compagnie russe qui avait sa version… Il y a cet héritage classique ou romantique, mais également celui de Mats Ek. J’ai eu la chance d’interpréter pour son entrée au répertoire de l’Opéra son Giselle, qu’il avait d’ailleurs créée sur Ana Laguna, sa muse. Beaucoup d’images fortes se sont mélangées en moi. Il est toujours difficile de s’attaquer à un ballet emblématique. Nous sommes tout de même partis d’une page blanche.

Nous ne voulions pas qu’il y ait une Giselle mais traiter un fait de société non seulement du XXIe siècle – les violences conjugales existent depuis la nuit des temps – mais, aujourd’hui, des consciences se sont emparées de ce thème, et tant mieux ! Pour nous, ce qui était important, c’était surtout de parler de cette trahison par l’amour d’une extrême violence. Et, au deuxième acte, des Wilis qui, non seulement se sont libérées comme je vous le disais, mais qui reprennent à leur compte l’imagerie masculine. Par exemple, la table symbolisant la Cène est devenue une représentation féminine. Nous jouons sur les codes. Les Wilis sont non seulement des êtres qui viennent hanter les hommes mais aussi des femmes excessivement fortes physiquement. Je ne dévoile pas ici la fin…

DCH : Avez-vous, à un moment ou à un autre, utilisé l’idée de Heinrich Heine qui avait séduit Théophile Gautier de cette femme parisienne qui danse, jusqu’à en mourir si elle arrête ?

Julien Derouault : Dans Giselle(s), comme dans la version originale, ce sont les hommes qui sont condamnés par les Willis à danser jusqu’à la mort. Chaque homme du premier acte est, d’une certaine manière, pourchassé et chassé par les Wilis au deuxième acte pour se venger de ce qu’ils ont fait. Nous avons gardé donc l’idée ! C’est comme si notre Giselle(s) était la suite de Giselle.

Marie-Claude Pietragalla : Dans Giselle(s), il y a également tout un travail sur le souffle, sur la voix, sur des chants que j’interprète. Un travail sonore qui apporte de la force à des Giselle qui disent « non » ouvertement.

DCH : Si le récit est contemporain, qu’en est-il de la danse ? Reste-t-elle classique ?

Marie-Claude Pietragalla : Ce n’est pas du tout classique. C’est contemporain. Il y a des choses qui sont détournées du classique. C’est un langage très contemporain. Avec la physicalité des « amazones » les pieds nus, les jambes nues, les bras nus, nous ne sommes plus dans le romantisme mais dans le contemporain, avec une connaissance de l’univers classique. Par exemple, la symbolique de la marguerite, va être totalement détournée. C’est dans ces détails qu’on peut retrouver une filiation avec la Giselle originale.

DCH : Vous reconnaissez que la partition d’Adolphe Adam est magistrale, qu’elle est l’une des première à introduire le leitmotiv dans le ballet, mais vous avez apporté une touche actuelle, un traitement contemporain de cette musique avec ce groupe qui s’appelle La muse en circuit

Marie-Claude Pietragalla : Oui, c’est cela. La muse en circuit a détourné la partition et il y a aussi l’apport de l’électronique et les rythmes des Tambours du Bronx, de superbes musiciens.

DCH : À l’origine, Giselle était un ballet-pantomime. Est-ce qu’il reste de la pantomime dans votre version ?

Marie-Claude Pietragalla : Non. Il ne reste que la danse. Et le travail du Théâtre du corps, qui est dans son ADN : la théâtralité du mouvement et la recherche sur la voix.

Propos recueillis par Nicolas Villodre, le 2 octobre 2024.

L'Onde - Théâtre Centre d'Art de Vélizy-Villacoublay, le 12 octobre 2024 à 20h30.

 

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