« L’entrée de Joséphine Baker au Panthéon »
Joséphine Baker est entrée au Panthéon le 30 novembre dernier, 46 ans après sa disparition.
« When the legend becomes fact, print the legend », dit un journaliste à la fin de L’Homme qui tua Liberty Valance (1962) de John Ford. Cela a été aussi le cas pour Joséphine Baker, dont les commentateurs ont pris pour argent comptant les faits, certaines étapes de sa carrière et de sa vie. Nul doute que l’entrée au Panthéon d’un cénotaphe empli de ce sable dont on fait les rêves est un fait en tant que tel. Un fait incontestable, dont nous pouvons témoigner, d’ores et déjà historique.
Avec ce sable mouvant, symbolique, métaphorique s’engouffre sans doute aussi le « vent de fantaisie et d’audace » évoqué par le président de la République dans son discours. Grâce à Caroline Dudley Reagan, Joséphine sortit du lot parmi les dizaines, voire centaines de girls qui poussaient la chansonnette et savaient très bien danser dans les music-halls new-yorkais, à l’ère du charleston. Grâce à André Daven, le directeur artistique du Théâtre des Champs-Élysées récemment acquis par Rolf de Maré, grâce au metteur en scène Jacques-Charles, Joséphine effaça du jour au lendemain la tête d’affiche prévue : la chanteuse au regard mélancolique Maud de Forest. La machine de guerre publicitaire fit le reste – les Paul Colin, les André Levinson, les Cocteau, les journaux, les photos, tous acquis à la cause de l’Art nègre, à celle du Bal puis de la Revue du même nom, ou plutôt de cet adjectif qui n’avait pour eux rien de péjoratif.
Artistiquement parlant, les choses se gâtèrent après ces années dites « folles », après-guerre, disons le retour de Joséphine aux Folies Bergère en 1949. Malgré les moyens de « grand luxe » déployés par Paul Derval (la profusion de décors, de costumes, d’accessoires, d’effets d’éclairage démarqués de ceux de Loïe Fuller, comme cette lumière « noire » par principe source de magie). Serge, dans Les Nouvelles littéraires, le constata tristement. Il ne reconnaissait plus « l’exceptionnel démon de la scène » qui l’avait enchanté plus de vingt ans plus tôt, du temps « où elle s’accommodait des décors de Paul Colin et composait, sans le vouloir, un rêve étourdissant de music-hall. » Le critique et caricaturiste nota encore : « Bien sûr, ce que vous faites n’est nullement désagréable, vous avez toujours votre jolie voix d’oiseau des îles, un corps étonnant, mais l’enthousiasme, la folie du jazz, et votre cœur bondissant, votre âme de petite fille noire… tout cela semble bien lointain à présent. » Entre-temps, la guerre. L’Occupation, la zone libre, la Résistance. « Troquant les feux de la rampe pour la flamme de la Résistance, elle devient, avant même le 18 juin, « honorable correspondante. Et sert son nouveau pays, au péril de sa vie. » a rappelé Emmanuel Macron. Pour la première fois, est officiellement fait allusion à la bisexualité de Joséphine, laquelle rime avec liberté, légèreté, gaieté.
La cérémonie a été une réussite totale sur le plan technique : la qualité de la diffusion sonore était exceptionnelle. Outre les chansons emblématiques, J’ai deux amours, La Petite Tonkinoise, etc., nous avons pu apprécier dans de bonnes conditions d’écoute le joli filet de voix de l’interprète de Blue Skies, de Breezing Along With the Breeze et de C’est lui. Du jazz indémodable. Naturellement, le chœur de l’Armée française a donné un ample et émouvant Chant des Partisans, en plein air, au bout du tapis rouge qui recouvrait les 265 mètres de la rue Soufflot saluant Joséphine avant que la Garde républicaine ne le fasse, sabres levés. La version canonique de La Marseillaise par le chœur au complet mené par une femme-officier au sein du Panthéon se passe désormais de tambour comme de trompette.
Nicolas Villodre, vu et entendu place du Panthéon.
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