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June Events : « On va tout rendre » de Gaëlle Bourges

Pour la première fois joué devant son public, OVTR a rendu la vie à l’histoire des cariatides de l’Erechthéion. 

La scène est à Athènes, au début du XIXe siècle. L’Acropole. Un champ de fouilles, une rampe de déchargement, un temple, des bâches et des caisses de transport, ou du moins une idée de tout ça, et peut-être même de l’Erechthéion... Et surtout, les six cariatides, vivantes, qui tentent de se réapproprier leur histoire. Il faudrait leur rendre celle-ci, car depuis deux cents ans, une grande part des sculptures du Parthénon d’Athènes constitue un drôle de patrimoine britannique, un butin plutôt, connu comme « les marbres d’Elgin » : un ensemble constitué de pièces pillées à Athènes, un peu comme les colonisateurs européens « achetaient » les œuvres d’artistes africains en échange de perles factices. Lord Elgin, amateur passionné d’antiquités et en même temps ambassadeur de la couronne britannique à Constantinople, avait pris l’habitude de considérer le Parthénon comme un libre-service, surtout quand le conditionnement pour la traversée maritime se faisait directement à partir des excavations. En témoignent les lettres qu’il écrivit à son épouse et aux autorités ou confrères diplomates. OVTR  en restitue une partie, essentielle.

Lord Elgin voulait bien tout, mais pas n’importe quoi. Les cariatides étant à ses yeux « moins exquises que les métopes », il prit soin de choisir « la meilleure » des six statues, non sans s’adonner à une boulimie lui ordonnant de s’emparer des « moindres choses » dignes d’intérêt, pour en décorer le salon de son château en Ecosse. Quel collectionneur ! Aujourd’hui, les métopes enlevées et la cariatide reposent au British Museum qui refuse toute restitution, malgré le non-sens d’un tel éparpillement d’œuvres conçues comme un ensemble. OVTR relate cette controverse où les arguments du côté britannique sont les mêmes que ceux employés dans tout pillage colonial, dans un esprit tout aussi hégémonique, demandant s’il n’est pas mieux pour les œuvres d’être conservées en lieu sûr, où en plus on les préserve de toute dégradation, comme si la dégradation n’était pas arrivée justement par l’enlèvement d’une grande partie. 

Spectacle très documenté – comme toujours chez Gaëlle Bourges – OVTR donne à entendre, à ce sujet précis, un discours de Melína Merkoúri qu’elle tint à Londres en tant que ministre grecque de la culture, qui souligne que les prétendus « marbres d’Elgin » sont en vérité, et seront toujours, les marbres du Parthénon !

En effet, quand une œuvre témoigne plus de son arrachage et de sa déportation (et donc de rapports de pouvoir) que de du contexte historique et culturel dans lequel elle fut créée, que reste-t-il de sa pertinence artistique ? Que pouvons-nous vraiment y comprendre, face à une vitrine dans un musée occidental ?

Correspondances et discours sont ici l’affaire de Gaspard Delanoë, fort bien paré en son uniforme militaire étincelant, alternant entre diplomate et pop star récitant Sex Pistols (God Save the Queen), Kate Bush (Wuthering Heights) et autres The Clash (London calling), commençant par une superbe interprétation de David Bowie (Let’s dance). Régulièrement, pop, rock ou punk déchirent les actions plutôt mesurées, exécutées autour d’une Acropole imaginaire, actions réfléchissant (sur) notre rapport actuel à l’Antiquité. La focale s’élargit donc vers les prétendues racines de notre identité européenne. Qui nous définit vraiment aujourd’hui ? Un héritage millénaire et mal interprété ou l’industrie musicale ? 

D’abord vêtues puis dévêtues, les six cariatides en leurs tuniques et perruques d’inspiration ionique incarnent l’inexorable avancée du temps et la douleur de la séparation, la violence subie, les chocs, la progression méthodique du pillage… Les corps sont travaillés par le temps et les déchirements, cherchant leur unité jusque dans un sirtaki final, seule danse du spectacle correspondant à des critères de genre établis. On répartit, on emballe, on met en boîte, on découpe. 

Correspondances, déambulations et activités autour des cariatides éclaircissent un événement historique et son contexte, car Gaëlle Bourges est une archéologue à sa façon, partant à chaque fois d’une œuvre ainsi que des ressources historiques et des réflexions à son sujet pour reconstituer certains enjeux d’une époque, dans leur rapport au lignes de conflits de la nôtre. Dont ici celle du débat autour de la restitution des œuvres pillées dans les territoires lointains, colonisés ou non. Mais OVTR  n’est en rien didactique. Nous sommes bien plus proches d’un spectacle documentaire, qui n’est pas sans renier une certaine dimension brechtienne, d’autant plus que les chansons interviennent de façon régulière. OVTR, un théâtre épique chorégraphique ? 

Thomas Hahn

Festival June Events 2021, le 19 mai 2021, Atelier de Paris

Conception et récit : Gaëlle Bourges. 

Avec : Gaëlle Bourges, Agnès Butet, Gaspard Delanoë, Camille Gerbeau, Pauline Tremblay, Alice Roland, Marco Villari & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK (musique live)

Lumières : Alice Dussart

Avec des lettres de Lord Elgin, Giovani Batistta Luisieri, le révérend Philip Hunt, Mary Elgin, François-René de Chateaubriand. Extraits de discours de Melina Mercouri, Neil Mac Gregor & Emmanuel Macron

Traduction des lettres anglaises : Gaëlle Bourges, avec l’aide d’Alice Roland & Gaspard Delanoë

 

 

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