Joan Cambon, compositeur de «Salut»
Danser Canal Historique : Vous êtes le compositeur de Salut, mais vous aviez déjà travaillé avec Pierre Rigal, notamment pour Erection, comment a démarré cette aventure ?
Joan Cambon : Pierre m’avait parlé de ce projet au début de la production. Nous avons fait écouter à Brigitte Lefèvre un album que j’avais déjà gravé, Reshaping the Seasons for Kaori’s Body, qui est la musique qui a servi au spectacle Plexus d’Aurélien Bory créé pour Kaori Ito. Il est composé de samples[1] des Quatre saisons de Vivaldi, de sons générés par Kaori et d’une voix parlée qui provient d’extraits radiophoniques japonais. Ça lui a plu. Et du coup je me suis retrouvé à participer à cette création.
DCH : Composez-vous toujours de cette façon ?
Joan Cambon : Je travaille toujours avec un sampler, je cherche des textures organiques, parfois à partir de disques existants, je recrée d’autres harmonies à partir de ces harmonies, idem pour les sons qui, du coup, ne sont pas rectilignes, mais d'une texture complexe, ce qui serait impossible à obtenir à partir d’un instrument de musique. Par ailleurs, je joue également de la basse électrique.
DCH : Quels sont les éléments que vous avez utilisés pour Salut ?
Joan Cambon : Bien sûr, les applaudissements qui deviennent une matière sonore, ainsi que d’autres sons, comme des voix et d’assez nombreux samples puisés dans l’opéra et la musique de ballet. Bien sûr il n’est pas question pour moi de me mesurer à ces monuments mais de peupler de tous ces fantômes la matière musicale. L’idée étant de composer à partir de sons issus des codes classiques. Il y a donc du Debussy, du Beethoven, du Satie et du Rameau, principalement. En général des musiques composées pour la danse française. J’ai également puisé dans les ouvertures d’œuvres musicales, car c’est, d’une certaine façon, le « bonjour » d’une pièce. Satie est sans doute le plus identifiable. J’ai utilisé Parade. Mais très transformé. À la fin, le son se distord, devient plus électro, notamment avec la basse électrique, comme une mise à nu qui se ferait dans la musique.
DCH : Composez-vous au préalable et proposez-vous la musique ensuite à Pierre Rigal, ou bien regardez-vous les répétitions et composez ensuite ?
Joan Cambon : Un peu des deux. D’une part il y a beaucoup de préparation en amont car nous devons nous adapter à un temps de création très resserré, donc j’ai commencé à réunir des matières sonores dès l’été dernier. Ce sont des échantillons de vingt secondes à une minute qui permettent de définir des ambiances. À partir de là, j’ai composé un long morceau d’une vingtaine de minutes dans l’idée d’avoir une sorte de trame, notamment à partir d’applaudissements, qui peut être transforméd, réadaptéd ensuite, en fonction de la chorégraphie. L’idée étant que certains sons puissent être déclenchés par les mouvements des danseurs. C’est une sorte de partition malléable, qui permet de déterminer des sons précis en relation avec les événements du plateau.
DCH : Est-ce joué en direct ?
Joan Cambon : Certains éléments sont joués en direct sur un morceau existant. Notamment les bascules d’ambiance d’un morceau à l’autre. Les enchaînements sont joués en direct ce qui laisse une latitude aux danseurs qui, par moments ont des repères sur la musique, et à d’autres les provoquent et nous nous calons sur eux. C’est une musique qui vit avec le spectacle.
DCH : Est-ce vous qui allez jouer cette partition pendant ce spectacle ?
Joan Cambon : Je ne pouvais pas assurer toutes les représentations, donc c’est un régisseur musicien, Sébastien Trouvé, qui a appris à jouer cette partition.
DCH : J'ai remarqué en répétition que vous interveniez ponctuellement et proposiez parfois des idées chorégraphiques. Est-ce une habitude ?
Joan Cambon : Nous avons une relation de confiance avec Pierre. Nous travaillions déjà de cette façon avec Sylvain Chauveau et Aurélien Bory dans des pièces précédentes. Ça me paraît normal sur un temps de création. C’est une forme de dialogue, ça permet de pousser les éléments plus loin et de s’impliquer profondément. Dans le travail de Pierre, le temps de recherche est capital, donc les échanges sont primordiaux, ces idées nourrissent l’ensemble de la collaboration. Personnellement, j’aime les contraintes que génèrent le plateau. Ça m’incite à aller dans des processus nouveaux. Et Pierre sait très bien procurer ce genre de situations.
DCH : Composer pour l’Opéra de Paris, cela vous fait-il un peu peur ?
Joan Cambon : Bien sûr. Il y a une pression énorme. Avoir son nom associé à l’Opéra de Paris est presque inconcevable. C’est un honneur de s’inscrire dans toute l’histoire musicale qui a traversé ce lieu.
DCH : À une semaine de la création, avez-vous complètement terminé votre composition ?
Joan Cambon : Pas tout à fait. Il reste des éléments à régler, très techniques. Notamment la multi-diffusion de la bande-son. L’écriture chorégraphique est en train de se fixer et il faudra réadapter la musique pour que tout soit le plus fluide possible pour le spectateur.
DCH : Que tirez-vous de cette expérience ?
Joan Cambon : C’est une expérience très positive que je suis très content de vivre avec Pierre dans ce cadre incroyable. Et surtout j’aime depuis toujours la danse car elle laisse toute la place possible aux sonorités, elle permet de se transporter ailleurs et les contraintes qu’elle génère me passionnent. À chaque fois, c’est une nouvelle voie à explorer.
Propos recueillis par Agnès Izrine
À lire : notre reportage, et nos entretiens Pierre Rigal et Roy Genty
[1] « Échantillons » ce sont des micro citations de quelques notes ou quelques secondes prises dans un morceau.
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