Hivernales #40 : Interview de Daniel Larrieu
A Avignon, Daniel Larrieu transmet un solo et performe ses propres textes sur l’histoire de sa compagnie.
Danser Canal Historique : Au cours de cette édition des Hivernales, vous incarnez la mémoire, par votre travail de transmission et de création. Quel a été votre parcours avec les Hivernales?
Daniel Larrieu : Les Hivernales sont l’un des rares festivals où l’on a vu Daniel Larrieu en tant que danseur, vers 1985, et comme chorégraphe. J’y ai présenté Cenizas, à la fin de mon mandat au CCN de Tours, Eléphant et les faons, avec Wilfride Piollet et Jean Guizerix, et d’autres pièces. Je suis l’un des rares artistes à avoir présenté mes pièces sous les trois directions des Hivernales et j’y ai souvent donné des stages. Mais j’ai aussi joué Genet aux Hivernales, sur invitation d’Emmanuel Serafini, dans Divine, une adaptation de Notre Dame des Fleurs, de Jean Genet, mise en scène par Gloria Paris, où je suis comédien et danseur. Les gens de la danse m’ont regardé bizarrement pour ça, alors que pour moi il était très important de passer par le travail d’acteur et de redevenir interprète. Car je suis aussi acteur de théâtre. L’année dernière j’ai joué sous la direction d’un jeune metteur en scène. Et je suis lié à la ville d’Avignon par mes six ans de programmation du Sujet à vif de la SACD, tout en continuant mon travail par ailleurs, car ma mission pour la SACD était bénévole.
DCH : Comment sont nés vos projets pour cette 40e édition des Hivernales?
D. Larrieu : Isabelle Martin-Bridot est venue voir une répétition de Littéral au CCN de Yuval Pick quand nous y étions en résidence. Elle a dû sourire quand elle a vu que j’étais en train de suspendre mes soixante balais au plafond alors que les Hivernales allaient fêter leurs quarante ans. Elle m’a proposé de présenter la pièce aux Hivernales et m’a demandé ce qu’était pour moi la transmission et ce qu’on pouvait inventer autour de cette notion. J’ai pensé à un très jeune interprète, Enzo Pauchet, un danseur que j’ai connu en donnant un stage en juin dernier. Mais ce petit solo, Emmy, que j’ai créé en 1993 ne dure que dix minutes. J’ajoute donc Avenir, un objet non identifié, mais je crois que c’est ma spécialité de faire de des objets qui ne sont pas droits. Avenir est un travail à partir du livre Memento 1982 -2012, paru chez Acte Sud à l’occasion des trente ans de ma compagnie, Astrakan. Pour ce livre j’ai écrit beaucoup de textes sur la danse. En écrivant je suis passé par l’oralité pour que l’écriture soit plus fluide. Je propose donc une lecture avec des images du livre, accompagnée par le musicien Antoine Herniotte. Selon l’humeur du jour et du public, j’introduis aussi quelques blagues.
DCH : Sur quelles pistes êtes-vous parti en 1993 pour la création de votre solo Emmy?
D. Larrieu : C’était une période complexe pour moi. Je devais soit m’associer vraiment à des lieux, soit postuler à la direction d’un CCN. Et autour de moi, beaucoup d’amis mouraient du Sida. En matière de création, il fallait faire des pièces d’une heure au minimum. On ne pouvait pas créer de formats courts. Il fallait toujours une heure ou plus. Mais j’ai reçu la proposition des Rencontres Chorégraphiques de Seine-Saint-Denis pour la création d’une proposition brève. J’ai d’abord choisi les musiques et ensuite j’ai rebondi sur une découpe de lumières en forme de carré, que j’avais utilisé l’année précédente au Bal Moderne. C’est un solo très proche de la musique, très « dansé ».
DCH : Quel est votre point de vue sur l’évolution de la danse, au cours des décennies évoquées?
D. Larrieu : Au départ, la danse était un endroit d’auteurs. Chacun était très singulier et chaque pièce était une révolution esthétique. Prenez quelques-unes de mes pièces de l’époque : Elles sont tellement différentes l’une de l’autre ! Ensuite la danse à commencé à beaucoup s’habiller d’art plastique, comme s’il était honteux de faire de la danse pour faire de la danse. Il y avait d’un côté l’académie qui continuait à danser et de l’autre cet univers très plastique et le travail sur le commentaire du mouvement, qui a produit de très belles choses par ailleurs. Ensuite, on en est arrivé à un endroit où il fallait absolument raconter quelque chose, ce qui a encore resserré les possibilités. La nouvelle génération des années 1990 nous a souvent dit « restez chez vous, vous avez fait votre temps. » C’était une position étonnante, avec pour résultat que la profession manque de synchronisation, pourtant nécessaire pour réclamer ensemble des moyens pour la danse.
DCH : Le paysage de la danse est-il trop morcelé ?
D. Larrieu : Aujourd’hui, on est dans un grand moment de mixité, ou de bouturage, avec par exemple les gens du cirque, au sens très large. Il faut être énigmatique, infaisable. Finalement, on a donc repris les critères de l’académie. Et on a énormément de propositions non seulement plastiques mais aussi commentatives, et ce que j’appelle la corpographie. On parle du corps avant de parler d’écriture de la danse. On génère du matériau en faisant faire de l’improvisation aux danseurs et ça donne des spectacles où chaque chose dure quelques minutes. On voit bien comment c’est construit. Et on fait ces pièces en cinq semaines, alors qu’en vérité le temps de travail de la danse est très long. Moi j’ai besoin de beaucoup plus de temps pour écrire.
DCH : Il faut du temps pour écrire, mais aussi pour comprendre ce qui a été écrit...
D. Larrieu : Aujourd’hui beaucoup de personnes vont à l’université pour étudier la danse. C’est une chose que nous ne connaissions pas. Je ne suis pas historien de la danse, même si je m’intéresse à certains aspects. On étudie aujourd’hui aussi le répertoire de ma propre compagnie. Et on nous fait dire des choses qui n’ont jamais été au centre de nos pièces. Je regarde ça avec beaucoup de distance parce que c’est une époque que j’ai traversée en personne. Prenez Bagouet. A son époque déjà, les commentaires sur ses pièces étaient très éloignés de la façon dont je ressentais son travail qui était très formel, distant, pur et pudique. Bagouet a toujours caché qu’il était séropositif. Il voulait qu’on parle de son travail, pas de lui.
Propos recueillis par Thomas Hahn
« Emmy » et « Avenir », Théâtre Golovine, dimanche 25 janvier 2018, 18h.
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