Error message

The file could not be created.

Guy & Roni, un drôle de Club et sa « Bad Nature »

Guy Weizman et Roni Haver aiment rencontrer des artistes – chorégraphiques, musicaux ou autres – de cultures minorisées et engager avec eux de fulgurants dialogues scéniques. Pour Bad Nature, ils sont allés jusqu’en Australie, où ils ont rencontré l’Australasian Dance Collective, un ensemble qui travaille, comme Guy & Roni, sous forme de collectif interdisciplinaire et dans l’idée de collaboration sans hiérarchie entre artistes occidentaux et ceux du « sud global ». Pour la compagnie de Brisbane, cela signifie avant tout la reconnaissance des droits des Aborigènes.

Il est des chorégraphes qui sont des références en Europe du nord, dans les pays germanophones ou au Pays-Bas, alors qu’en France on commence à peine à les découvrir. On pourrait citer Imre & Marne von Opstal, complètement inconnus il y a peu, puis apparaissant à La Villette. Et soudain, on les trouve dans le programme Contrastes  à l’Opéra de Paris, en cette fin d’année 2025 ! Ou bien Edward Clug, enfin arrivé en France via le Ballet du Capitole de Toulouse [notre critique] en 2024. Et maintenant, le Club Guy & Roni, fondé à Groningen, dans le nord des Pays-Bas, en 2002.

Leur unique apparition parisienne à ce jour est le fait de Didier Deschamps qui leur a ouvert les portes de Chaillot pour une pièce intitulée Naked Lunch. C’était en 2016. Et c’est encore Deschamps qui les a fait venir en décembre 2025 au Festival de Danse de Cannes Côte d’Azur. Il s’agit pourtant d’une troupe qui pourrait, avec son style énergétique et son dialogue entre danseurs et musiciens, tenir l‘affiche longtemps, même à Paris. Et pendant que Roni Haver emmenait le Club à Cannes, Guy Weizman dirigeait à Hambourg  les dernières répétitions avant une nouvelle création mondiale !

Un Club qui voit large

Qui sont-ils ? Roni Haver est née à Jérusalem d’une mère allemande et d’un père Syrien. Guy Weizman est né à Marrakech, de parents marocains. Les deux se sont rencontrés en tant que danseurs de la Batsheva et ne se sont plus quittés. Ils ont traversé l’Europe, ensemble ou séparément et ont créé des spectacles communs. Se sont installés à Oldenburg, en Allemagne en tant qu’artistes associés du ballet local, dirigé par Honne Dohrmann et l’ont suivi à Mayence quand Dohrmann prit la direction de la compagnie Tanzmainz.

En 2016 ils se lancent, depuis Groningen, dans une série de créations, sous le titre générique de The Human Odyssey. La devise : sortir de la perspective eurocentriste, comprendre l’histoire de l’humanité comme une aventure collective. Les moyens : des rencontres artistiques au Sénégal, au Maroc, en Slovénie… Et maintenant en Australie. Leurs créations portent des titres emblématiques et incisifs en référence à bonheur, foi, liberté, empathie, espoir… Bad Nature  fait presque exception.  Mais comme les autres, il lance un débat : De quoi parlons-nous ? Que représentent ces valeurs dans les relations entre le Nord Global et les cultures minorisées ?

Mauvaise, la nature ?

La parité selon Guy & Roni crée avant tout l’équilibre entre les hémisphères. Six danseurs de l’Australasian Dance Collective et six du Club Guy & Roni, baignant dans la puissance percussive du trio Hiiit (= heat, chaleur). Si le titre suggère que la nature puisse être « mauvaise », il s’agit de l’attitude occidentale, citée pour être contrebalancée d’une mise en scène somptueuse des forces de la nature et de sa beauté. Sans vidéos, sans mimétisme animalier ou autres discours militant. C’est lors du bord de plateau qu’Amy Hollingsworth explique qu’il s’agit d’une pièce qui parle du rapport au rituel, de la relation à la nature et de la réconciliation avec les peuples indigènes, sans prétendre pouvoir être leur porte-parole.
 

Très différent de leur création précédente Faith (une exaltation mystique entre transe et motifs chrétiens), Bad Nature  déploie une énergie concentrée, pour une plongée dans un univers cosmogonique plutôt cohérent, parfois inquiétant et souvent ténébreux. Un énorme gong provoque l’éclipse du soleil qui se couche en fond de scène, d’apparentes divinités géantes enchantent un peuple qui fait un avec son animalité, sous un voile céleste qui, avec la légèreté d’une méduse, descend et se lève, blanchâtre et transpercé par de petites lumières.

Ciel-méduse

L’impressionnante trouvaille scénographique qui évoque autant la fertilité que les sphères célestes est l’œuvre de Boris Acket, artiste visuel et plasticien travaillant à Berlin. Il décline ici son œuvre Sea/Sky, une toile ondulante mue à la fois par le vent et des moteurs. Aussi spectaculaire qu’éthérique, Sea/Sky  incarne la fusion entre les forces de la nature et leur maîtrise, telle une métaphore des questionnements qui traversent Bad Nature. Sur scène, l’œuvre se confronte à une structure métallique, énorme perche mobile qui fait circuler un projecteur à travers les airs, en guise de soleil mécanique, au-dessus du plateau et même des têtes du public. Le plus étonnant est par ailleurs qu’Acket signe également la composition musicale de Bad Nature, pourtant dans une énergie souvent violemment tellurique si ce n’est métallique et industrielle !

Galerie photo © Andreas Etter

Dans ses tenues de cuir noir évoquant autant les boîtes de nuit que la vie dans la forêt, ce petit peuple originel – pourtant composé de deux tribus artistiques vivant aux antipodes géographiques – écrit sa cosmogonie et ses légendes en nous faisant traverser ses troubles et ses solidarités, ses fantasmes et ses apocalypses. Et alors qu’on ne saurait définir si au début le soleil se couche ou se lève avant d’être aveuglé par la puissance d’un gong, on ne sait finalement pas si les constellations brutes de corps et d’énergies qui font la puissance de Bad Nature  nous parlent d’une humanité naissante ou d’une vie qui renaît malgré son autodestruction. C’est finalement la question de l’œuf et de la poule en version inversée. La mort ne doit-elle pas assurer la continuité de la vie pour garantir la sienne ? Les incroyables images de Bad Nature  semblent vouloir nous dire que les forces de destruction accumulées dans le monde industriellement « développé » ne suffiront pas à éteindre la vie. Espérons que grâce à leur volonté à multiplier les points de vue sur l’épopée humaine, Guy & Roni voient juste.

Thomas Hahn
Vu le 1er décembre 2025, Antibes, Théâtre Anthéa, Festival de Danse de Cannes – Côte d’Azur

Bad Nature
Chorégraphie : Roni Haver, Amy Hollingsworth, Jack Lister, Guy Weizman
Musique, décors et lumières : Boris Acket
Conception lumières : Ben Hughes
Costumes : MAISON the FAUX
Dramaturgie : Friederike Schubert
Dramaturgie musicale : Frank Wienk

Interprètes :
Club Guy & Roni : Adam Peterson, Angela Herenda, Igor Podsiadly, Camilo Chapela, Jack Lister, Jésula Toussaint Visser, Nicky Daniels
Australasian Dance Collective : Georgia van Gils, Lilly King, Lily Potger, Sam Hall, Taiga Kita-Leong
HIIIT : Niels Meliefste, Max Frimout, Louis Frère-Harvey

 

 

Catégories: 

Add new comment