Guillaume Diop, étoile montante de la danse
« Interpréter un prince noir serait un symbole fort pour les générations futures »
Entré en 2018 au Ballet de l’Opéra de Paris et promu cette année choryphée, Guillaume Diop, long et fin danseur aux allures de prince, a reçu à l’automne dernier le Prix du cercle Carpeaux. Rencontre avec un jeune homme en tous points prometteur.
Danser Canal Historique : A quel âge avez-vous découvert la danse ?
Guillaume Diop : J’avais 4 ans. J’étais venu avec ma mère chercher ma sœur, de deux ans mon aînée, à son cours d’éveil à la danse contemporaine. Ça se passait au Centre Binet à Paris, près du métro Guy Moquet, dans le quartier où nous habitions. J’ai assisté à la fin de la séance et ai alors déclaré à ma mère : je veux faire ça ! Elle m’a donc inscrit à ce même cours et pendant quatre ans, j’ai suivi cette initiation. Moi qui étais un enfant plutôt réservé, s’exprimant peu, je m’y sentais très à l’aise et j’éprouvais un grand sentiment de liberté. Comme si j’avais trouvé le moyen d’extérioriser par le geste ce que je ne disais pas par les mots. Les spectacles de fin d’année avaient lieu dans une grande salle de music-hall sur le boulevard de Rochechouart. Etre sur scène était un vrai plaisir. En fait, si je suivais les cours durant toute l’année, c’était pour vivre ces moments-là.
DCH : Comment êtes-vous passé du classique au contemporain et entré à l’Ecole de
danse ?
Guillaume Diop : Lorsque j’avais huit ans, une des professeures du Centre a dit à mes parents que j’avais du potentiel. Elle leur a recommandé de me faire suivre des cours de classique, pour acquérir des bases solides. Ils m’ont donc inscrit au conservatoire du 18e arrondissement. Au début, ce nouvel apprentissage plus compliqué et contraignant ne m’a pas plu. Puis j’ai commencé à apprécier ce cadre strict, et à m’y épanouir. J’aimais le processus de travail, apprendre à sauter, à tourner, acquérir une certaine virtuosité. J’ai passé le concours d’entrée au CRR (Conservatoire régional de région) de Paris et ai intégré la classe à horaires aménagés de l’école primaire La Fontaine, dans le 16e arrondissement - les cours de danse se déroulant aux studios des Abbesses à Montmartre. A la fin de l’année scolaire, tous les élèves préparaient le concours d’entrée à l’école de danse. J’ai fait de même, malgré le peu d’enthousiasme de mes parents. Et à la surprise générale, j’ai été admis.
DCH : Vos parents n’étaient pas favorables à ce que vous suiviez ce type de parcours ?
Guillaume Diop : Pas vraiment, chacun pour des raisons différentes. Mon père est né au Sénégal, où vit toujours une partie de notre famille. Dans sa culture, la danse n’était pas vraiment une activité pour les garçons, encore moins le ballet. En outre, j’étais plutôt doué pour l’athlétisme, un sport auquel il s’identifiait et dans lequel il s’investissait, m’accompagnant aux entraînements et assistant à mes compétitions. Il était très déçu que je choisisse finalement la danse, estimant que l’Ecole de l’Opéra n’était pas un endroit pour un garçon et encore moins pour un garçon métis. Même s’il était fier de mon admission, ses craintes ont pris longtemps le dessus, jusqu’à mes quinze ans environ. Ma mère, de son côté, avait peur que je m’enferme trop tôt dans une voie qui ne me corresponde pas, dans un univers très fermé.
DCH : Votre parcours à l’Ecole de danse a-il justifié leurs appréhensions ?
Guillaume Diop : Oui et non. D’abord, j’ai eu la chance de suivre en cinquième division les cours de Marc Du Bouaÿs, qui est parti l’an dernier à la retraite. Bienveillant, il m’a appris énormément, partageant son savoir avec pédagogie et finesse. Son soutien a été décisif, d’autant que j’ai continué à prendre des cours particuliers avec lui durant le reste de ma scolarité. Les années à l’Ecole sont souvent un moment un peu compliqué. Nous sommes tous à l’âge auquel on se construit en tant que personne, et dans le même temps nous devons nous former au plan professionnel. En ce qui me concerne, j’ai mis beaucoup de temps à me dire que je voulais être danseur. J’avais un bon niveau scolaire, cette partie-là de ma vie comptait pour moi et plus tard, je m’imaginais volontiers par exemple médecin , une profession qui avait l’avantage de plaire à mes parents ! J’avais certes des facilités en danse, mais quand est arrivée l’adolescence, je ne travaillais pas assez, ce que répétaient sans cesse mes professeurs. A ce moment-là de mon évolution, le niveau d’exigence demandé ne me convenait pas. Je voulais être dans le plaisir et ne développais pas suffisamment mes aptitudes. Il m’a fallu passer de l’enfant qui danse au jeune professionnel en devenir.
DCH : Quand et comment s’est produit le déclic ?
Guillaume Diop : Marc Du Bouaÿs, avec qui je continuais à travailler en dehors de l’Ecole, m’a dit un jour : « Tu as besoin d’aller voir ailleurs ». C’est ainsi qu’à 16 ans, j’ai postulé et ai été admis à suivre durant six semaines un stage d’été dans l’école de danse d’Alvin Ailey à New York. Cette compagnie d’excellence aux bases classique, composée essentiellement d’Afro-Américains, représentait pour moi un modèle très attirant. Outre mon indécision sur mon choix de carrière, je me sentais différent, en raison de mon origine, des autres élèves et il me semblait que je n’avais pas forcément ma place dans cet univers. Je suis donc parti seul aux Etats-Unis, logeant sur un campus avec les autres stagiaires. C’était un lieu de mixité extraordinaire, les élèves venaient de tous les coins du monde et de tous les horizons. Nous avions des conversations très libres au cours desquelles nous comparions nos expériences sur tous les sujets qui nous tenaient à cœur. Ce séjour très enrichissant m’a fait du bien. Il m’a rendu plus fort et m’a permis paradoxalement de me rendre compte que, oui, j’avais envie d’être danseur à l’Opéra de Paris, que j’étais attaché à l’Ecole française et à son modèle d’apprentissage. Alors que jusqu’ici, je passais les classes plutôt « ric rac », je suis rentré à l’automne en première division et dès ce moment-là, de l’avis général, j’étais « plus moi ». A la fin de l’année, j’ai échoué au concours d’entrée dans le corps de ballet mais ai été néanmoins bien classé. L’année suivante, j’ai redoublé à l’Ecole, repassé le concours et en 2018 ai été engagé dans la compagnie.
DCH : Dans vos premiers mois sur scène, quelle fut votre expérience la plus marquante ?
Guillaume Diop : J’ai eu la chance d’être très vite distribué. Je me suis retrouvé titulaire dans le corps de ballet sur Cendrillon, puis sur la Valse du Lac des Cygnes, que nous avons dansé également en tournée en Asie en 2019. Ensuite, j’ai été remplaçant dans Blake Works I, de William Forsythe puis dans The Seasons’ Canon de Crystal Pite. Mais le plus marquant pour moi fut d’être dans Le Lac. Participer à la construction d’une série de représentations, être sur la scène durant tout l’acte III, c’est le moment où j’ai réalisé : ça y est, je fais désormais partie du corps de ballet de l’Opéra !
DCH : Puis est arrivé en 2021 le programme Jeunes danseurs…
Guillaume Diop : Oui, le programme a tout d’abord été donné en mars à huis clos, en raison de la pandémie, avant d’être ouvert au public en juillet. J’y interprétais avec Hohyun Kangle le pas de deux de l’acte III de La Belle au Bois dormant de Noureev. Je pense que c’est suite à cette représentation que la directrice de la danse Aurélie Dupont, ayant vu mes aptitudes en tant que partenaire, a décidé de me tester sur trois représentations de Roméo et Juliette de Noureev en juin, en remplacement de Germain Louvet, blessé. Mon premier cast de soliste, et qui plus est sur un de mes rôles fétiches car j’aime particulièrement la dimension théâtrale de ce personnage, et cette histoire magnifique. Ça s’est très bien passé, mes parents sont venus me voir aux trois représentations !
DCH : A l’époque pourtant, vous n’étiez encore que quadrille, ce qui est totalement inhabituel pour se voir offrir un tel rôle ?
Guillaume Diop : C’est vrai. J’avais passé une première fois en novembre 2019 le concours de promotion interne, où j’avais interprété le pas de six de Napoli de Bournonville en variation imposée et la variation de l’acte I de Paquita en libre. J’avais fini troisième et n’avait pas été promu. J’ai repassé avec succès, quoique beaucoup plus stressé cette fois ! , le concours en octobre 2021 et suis officiellement passé Coryphée depuis le 1er janvier.
DCH : Vous avez aussi été parmi les danseurs à l’origine du manifeste « De la question raciale à l’Opéra de Paris » à l’été 2020…
Guillaume Diop : Lorsqu’au printemps 2020, la vague du mouvement Black Lives Matter a atteint la France, les danseurs Letizia Galloni, Awa Joannais, Isaac Lopes Gomes, Jack Gasztowtt et moi-même, tous métis avec un parent d’origine africaine, nous nous sommes retrouvés pour parler ensemble de ce drame, qui nous poussait à nous interroger sur notre propre vécu personnel et professionnel. L’Opéra, à la différence d’autres institutions comparables à l’étranger, n’avait manifesté aucune réaction officielle ni initié aucune discussion ou remise en cause sur ce sujet. Lors de nos échanges, nous avons ainsi réalisé que les choses auraient été pour nous infiniment plus simples si certaines erreurs, maladresses, discriminations ou vexations n’avaient pas eu lieu. Il s’agissait donc de faire en sorte que les générations suivantes n’aient pas à vivre les mêmes expériences. Est née alors l’idée d’un manifeste, que nous avons co-rédigé et envoyé en interne à tout le personnel. Le texte a ensuite « fuité » sur un site internet et connu une diffusion et un retentissement publics non prévus. Quelques mois plus tard, j’ai lu avec une grande attention les conclusions du rapport sur la Diversité à l’Opéra de Paris commandé par le nouveau directeur Alexander Neef. Il mettait des mots clairs, venus de l’extérieur, sur des situations que nous ressentions depuis toujours. Grâce à ces deux textes, chacun a réfléchi à ces questions et a désormais conscience qu’il existe des comportements ou des remarques qui ne sont plus entendables.
DCH : Vous avez terminé l’année en beauté avec le rôle de Basilio dans le Don Quichotte de Noureev ?
Guillaume Diop : Oui et surtout, étant cette fois titulaire sur le rôle, j’ai pu bénéficier de vraies répétitions avec le maître de ballet Lionel Delanoé. A la différence du personnage de Roméo de la saison précédente, où tout s’était joué en deux semaines très intenses, j’ai eu le temps d’approfondir mon jeu et ma danse. Voir comment, en tant que soliste, on construit son Basilio, on le définit puis on se l’approprie.
DCH : Dans ce parcours prometteur, que représente le prix Carpeaux ?
Guillaume Diop : C’est bien sûr un bel encouragement et une belle récompense, de la part de personnes qui voient des ballets depuis des années et ont un œil de connaisseurs. En outre, comme pour moi tout est allé très vite ces derniers temps, ce prix marque une étape, un repère symbolique fort et concret (la médaille !) de cette évolution.
DCH : Quels sont les autres rôles qui vous font rêver ?
Guillaume Diop : Hormis Roméo, il y a bien sûr Siegfried, le prince du Lac des Cygnes. Pendant longtemps, tout en désirant intensément l’incarner un jour, j’ai eu du mal à me projeter dans ce rôle en raison de ma couleur de peau. Aujourd’hui, interpréter un prince noir serait un symbole fort pour les générations futures. Dans un registre très différent, j’aimerais aussi danser le Bolérode Maurice Béjart.
DCH : Et du côté des contemporains ?
Guillaume Diop : William Forsythe, Mats Ek sont des chorégraphes avec lesquels je serais très heureux de travailler, sur une création ou une reprise. Je rêve aussi de danser Chroma, de Wayne Mc Gregor, que j’ai vu à Londres et dont j’admire particulièrement le travail de décomposition du mouvement.
DCH : En dehors de la danse, qu’aimez vous faire ?
Guillaume Diop : J’habite dans le 11e arrondissement à Paris et j’essaie de profiter de l’offre culturelle foisonnante qui m’entoure : les musées, les cinémas… Je vais aussi régulièrement voir des spectacles de stand up d’humoristes, comme Dave Chappelle.
DCH : Avez-vous parfois des envies d’ailleurs ?
Guillaume Diop : Je répondrai en citant ma mère, qui m’a toujours conseillé de ne pas m’enfermer. Même si je suis très attaché au Ballet de l’Opéra de Paris, prendre une année sabbatique, à l’étranger par exemple, est toujours intéressant et enrichissant. Certaines compagnies, comme l’Alvin Ailey ou le New York City Ballet, ont un esprit et des répertoires attirants. Dans une carrière, il est important par moments de voir autre chose, ne serait-ce que pour mieux revenir.
Propos recueillis par Isabelle Calabre.
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